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Quand le business de la grimpe rencontre la lutte des classes

Photo du rédacteur: Pierre-Gaël PasquiouPierre-Gaël Pasquiou

En escalade, on apprend vite qu’un bon assureur, c’est quelqu’un qui écoute. Chez Touchstone Climbing, les employés ont découvert que leur direction, elle, était plutôt du genre sourdine maximale. Et quand les prises ne tiennent plus, il faut bien se rattacher à quelque chose. Eux ont choisi le syndicat.


Touchstone Climbing syndicat
© Workers United

C’est ainsi qu’en 2024, les salariés de cinq salles de la chaîne californienne ont organisé la première grande vague de syndicalisation des salles d’escalade aux États-Unis. Une union mur à mur, façon granit bien compact, sous la bannière de Workers United. Un exploit dans un pays où la syndicalisation est souvent perçue comme un sport extrême. Mais voilà, si grimper jusqu’ici a été une belle perf, la descente s’annonce plus rude : depuis six mois, la direction fait de la résistance passive et traîne des pieds dans les négociations.


Point de rupture : une menace et un grand vide


L’histoire commence en octobre 2023 avec une menace visant directement les salles de Touchstone Climbing à Los Angeles. Un truc suffisamment sérieux pour déclencher une enquête du FBI. Logiquement, les employés s’attendent à ce que la direction prenne les choses en main, assure leur sécurité, pose des procédures claires. Ce n’est pas vraiment ce qui se passe.


À la place, c’est le grand flou. Infos contradictoires, communication au compte-goutte, gestion erratique… Et une impression croissante que personne n’est aux commandes. En l’absence de directives claires, les salariés s’organisent entre eux pour échanger des infos et évaluer la situation.


Ce cafouillage agit comme un électrochoc : si la boîte est incapable de gérer une crise, qu’en est-il du reste ? Salaires en vrac, conditions de travail aléatoires, sécurité absente des abonnés... La question du syndicat, jusqu’ici une blague de salle de pause, devient un projet sérieux. En janvier 2024, Touchstone Workers United est né.


Touchstone workers united

Pourquoi syndiquer une salle d’escalade ?


Syndiquer une entreprise aux États-Unis n’a rien d’anodin. Contrairement à la France où des syndicats existent déjà dans la plupart des grandes entreprises, le paysage est totalement différent outre-Atlantique. Le taux de syndicalisation en entreprise privée y est inférieur à 7%. Et dans l’univers des salles d’escalade, il est encore plus bas. Pourquoi ? Parce que ces jobs sont perçus comme des "passions" plutôt que des emplois. Un ouvreur de voies ? C’est avant tout un grimpeur. Un coach d’escalade ? Quelqu’un qui vit pour son sport. Sauf que cette image romantique masque une réalité bien plus précaire.


Les jobs dans les salles d’escalade aux US sont souvent mal payés et considérés comme des postes temporaires. On attend des employés qu’ils soient disponibles, impliqués, qu’ils participent à la communauté… mais sans que cela se traduise par des conditions de travail correctes. C’est un schéma classique dans les métiers de la culture, du sport et des loisirs.


Les grimpeurs de Touchstone Climbing ont donc dû batailler pour faire entendre qu’ils n’étaient pas juste là pour "l’amour du sport", mais qu’ils effectuaient un travail essentiel : assurer la sécurité des clients, ouvrir des voies, gérer la salle. Un job, pas un hobby.


Syndicat 1 – Direction 0 (mais le match continue)


Face au raz-de-marée, Touchstone Climbing aurait pu choisir la voie de l’intelligence : reconnaître le syndicat, jouer la carte du dialogue social, faire semblant d’être progressiste. Mais non.


À la place, la direction active le kit antisyndical de base :


  • Réunions où l’on explique doctement que « les syndicats, c’est pas top »,

  • Menaces larvées sur les avantages sociaux,

  • Avalanche de courriers à domicile façon sortez de là tant qu’il est encore temps,

  • Changement de ton final en mode ok, vous avez gagné, mais on vous fera payer ça en négociation.


Pas de quoi impressionner les travailleurs, qui tiennent bon et remportent leur élection syndicale. Reste maintenant à transformer l’essai avec un premier contrat.


Six mois de négociations… et pas une prise en vue


Depuis septembre 2024, les salariés se heurtent à un mur. La direction a engagé un cabinet spécialisé dans la démolition des mouvements sociaux, qui applique la stratégie du vide : ralentir, noyer sous des justifications juridiques absconses, ne jamais faire de contre-proposition.


Le problème, c’est que les demandes sont pourtant limpides :


  • Sécurité : mise en conformité avec la loi, formation des équipes, plan d’évacuation en cas d’incident.

  • Salaires : que l’ouvreur qui s'échine sur une échelle toute la journée touche un peu plus que le SMIC californien.

  • Respect : communication interne claire, mécanismes de promotion, procédures contre le harcèlement.


Et la réponse ? Silence radio.

Pire, quand la direction décide unilatéralement de modifier les couvertures santé, elle propose aux employés de renoncer à une augmentation pour la conserver. C’est soit la corde, soit les chaussons, mais pas les deux.


La grimpe, c’est aussi collectif


Mais Touchstone Workers United ne lutte pas en solo. Le syndicat bénéficie d’un soutien massif de la communauté. Grimpeurs pros, clients fidèles, autres syndicats… Tout le monde suit l’affaire de près. Et la direction a du mal à ignorer les pancartes pro-syndicat affichées sur les sacs à pof.


Le 7 mars 2025, une grande mobilisation a lieu devant la salle de Culver City, rassemblant des employés, des grimpeurs et d’autres syndicats. Un coup de pression en règle, et un rappel que le syndicat ne compte pas lâcher la prise.


Et maintenant ?


Si la direction espérait que le syndicat se fatiguerait, c’est mal connaître l’endurance des grimpeurs. Touchstone Workers United continue de pousser pour obtenir un vrai contrat. Si la situation reste bloquée, la question d’un mouvement de grève se posera très sérieusement.


Pour le moment, la direction reste cramponnée à ses certitudes. Mais plus le soutien s’intensifie, plus le poids de l’opinion publique risque de faire plier la boîte.


Dans un secteur où la syndicalisation est encore rare, cette lutte dépasse largement le cas de Touchstone Climbing. Elle pose une question clé : peut-on continuer à vendre l’escalade comme une “grande famille” si ceux qui la font tourner sont traités comme des variables d’ajustement ?


Affaire à suivre.


Pour aller plus loin, écoutez ce podcast (en anglais) où Ryan Barkauskas, employé à Touchstone Climbing Pasadena, et Jess Kim, ex-employée devenue organisatrice syndicale à plein temps, reviennent en détail sur leur lutte et les négociations en cours.



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