"The Walk of Life" : James Pearson sur le fil de l’existence
Un van garé à la hâte dans les rues de Paris, un dîner improvisé, et au centre de la table, James Pearson. La veille de la projection de son film The Walk of Life à Londres, le grimpeur britannique s’est posé avec nous pour un échange. Plus qu’un repas, c’est un voyage à travers les souvenirs d’un homme dont la carrière a connu autant de sommets que de précipices. Entre anecdotes intimes et réflexions profondes, il nous a offert un aperçu d’un parcours façonné par la roche, l’adversité et une quête incessante de sens. Intrigués par son récit, nous avons eu la chance de visionner son film en avant-première. Un documentaire saisissant réalisé par Raphaël Fourau, qui, à l’instar de son protagoniste, transcende l’escalade pour toucher à l’essentiel.
Quand l’ascension se fait chute
Pour James Pearson, The Walk of Life n’est pas seulement une voie : c’est un moment charnière, un symbole de tout ce que l’escalade peut offrir… et retirer. « Je me souviens, c’était comme si tout ce que je connaissais s’écroulait sous mes pieds », confie-t-il en évoquant la tempête médiatique qui a suivi la rétrogradation de cette fameuse ascension. Initialement cotée E12, la voie avait été ramenée à E9, déclenchant une onde de choc dans le milieu du trad climbing britannique.
Pour saisir l’impact de cet événement, il faut comprendre ce que signifie l’échelle des grades E, propre à l’escalade traditionnelle anglaise. « Ce n’est pas juste une mesure de difficulté, c’est une philosophie. Elle intègre tout : le danger, la qualité du rocher, la difficulté d’accès… » explique James. Le déclassement, relayé à outrance sur les forums et les médias spécialisés, ne fut pas seulement une critique technique : c’était une remise en question publique de son jugement et, par extension, de son identité de grimpeur.
« Tout le monde avait une opinion, et aucune d’elles n’était en ma faveur. Ce n’est pas juste le grade qu’on attaquait, c’était moi. »
Cet épisode marquera un tournant : celui où l’ascension devient descente.
Fuir pour respirer
La pression était insupportable. James quitte le Royaume-Uni, emportant avec lui plus que ses affaires : un poids lourd, fait de doutes et d’humiliations. « Partir était la seule option. Chaque pierre, chaque falaise me rappelait cet échec. » Mais la fuite ne libère pas toujours. Loin des roches britanniques, c’est un autre vide qui s’installe, plus sournois encore.
C’est en Autriche, alors qu’il cherche à se reconstruire, qu’il rencontre Caroline Ciavaldini, une grimpeuse au tempérament solaire et à l’énergie communicative. Pour lui, il ne fait aucun doute qu’elle a été un pilier dans sa reconstruction, une bouée jetée à temps. Caroline, elle, esquisse une image plus nuancée, évoquant une solidité de façade qui dissimulait des fêlures plus profondes.
Leur rencontre marque un tournant. Avec elle, James redécouvre la grimpe pour ce qu’elle est vraiment : un espace de liberté, dépouillé des jugements extérieurs.
« J’étais obsédé par l’idée de prouver quelque chose. Caroline m’a appris à grimper juste pour le plaisir. » Ensemble, ils bâtissent une vie où voyages, projets et famille se mêlent, offrant à James une stabilité qu’il n’avait jamais connue.
Bon Voyage : la voie de l’apaisement
C’est pourtant une voie, encore une, qui devient l’épicentre de sa renaissance. À Annot, petit coin de paradis pour les amateurs de grès, James découvre Bon Voyage. Une ligne qui semble à la fois audacieuse, exigeante et étrangement familière. Il réalise alors que cette quête de l’ultime l’a ramené là où il avait grimpé tant de fois, comme si la réponse avait toujours été sous ses yeux, attendant simplement qu’il la voie autrement.
Mais Bon Voyage n’est pas une quête de gloire. Cette fois, il ne s’agit plus de briller ou de plaire. « Tout était différent. Je ne cherchais pas à impressionner qui que ce soit. Cette voie, c’était pour moi. » Pendant deux ans, James consacre ses forces à cette ascension. Il y trouve plus qu’un défi technique : un exutoire, un espace pour explorer ses peurs et, finalement, les apprivoiser.
Le poids d’une cotation
Quand James achève finalement Bon Voyage, une autre épreuve l’attend : lui attribuer une cotation. Proposer E12, la plus haute de l’échelle, c’est s’exposer à une critique féroce.
« Je savais ce que cela impliquait. Je savais que certains allaient encore chercher à me démolir. »
L’arrivée d’Adam Ondra, considéré comme l’un des plus grands grimpeurs de tous les temps, apporte à la fois excitation et appréhension. Mais cette fois, les choses sont différentes. Ondra tente la voie, et ses impressions sont sans appel : « C’est une œuvre d’art », déclare-t-il. Ce soutien inattendu permet à James de proposer, enfin, la cotation E12, avec sérénité.
Un chemin vers la lumière
Aujourd’hui, James Pearson ne grimpe plus pour les cotations ou la reconnaissance. « J’ai toujours ce besoin de prouver quelque chose, mais je commence à comprendre que ce n’est pas à la communauté que je dois prouver quoi que ce soit. C’est à moi-même. » The Walk of Life, son film, est une extension de cette quête.
À travers ce documentaire, il ne raconte pas seulement l’histoire d’un grimpeur, mais celle d’un homme qui chute, se relève, et apprend à se réconcilier avec ses failles. Pour l’instant, il n’est pas possible de visionner le film en ligne, mais il sera projeté dans plusieurs festivals au cours des prochains mois. Une occasion unique de découvrir un récit qui transcende les prises et les sommets pour explorer l’humain dans toute sa complexité.
En quittant ce dîner parisien, une phrase résonne encore : « Parler de ce qu’on ressent ne résout peut-être pas tout, mais si tu ne le fais pas, tu as déjà perdu. » Avec James Pearson, les falaises ne se gravissent pas seulement à la force des doigts, mais au courage de se confronter à soi-même.