Le syndrome du cirque : Jakob Schubert démonte l’escalade moderne
Dix ans après l’ouverture de BLOC House, Jakob Schubert, grimpeur de légende, revient à Graz (Autriche). Pas pour enchaîner des blocs, mais pour décocher des vérités bien senties. Entre son regard critique sur les compétitions, son analyse des JO et son retour à l’escalade sur rocher, Jakob trace la ligne : l’escalade est à un carrefour, et tout le monde ne semble pas bien assuré.
Les jeux : vitrine ou fardeau ?
Pour Jakob Schubert, les Jeux Olympiques, c’est un Everest émotionnel. « On s’entraîne si intensément pour cet objectif monumental que, quand c’est fini, c’est un soulagement. Pas que je n’aie pas aimé, j’ai adoré être là-bas, mais mentalement, c’est dur. » Une course contre soi-même qui laisse des traces. Après une semaine de repos post-JO, il avoue que « même se reposer semble mauvais pour [son] corps. »
Mais au-delà de l’effort, il y a la portée. « Les Jeux Olympiques, c’est le plus grand événement sportif au monde. Cela attire des gens qui n’en avaient jamais entendu parler. Voir des enfants découvrir la grimpe grâce à ça, c’est génial. » Cette exposition, il la juge essentielle pour un sport encore jeune dans l’arène mondiale.
Pour autant, les JO ne viennent pas sans sacrifices. Le calendrier des compétitions en souffre :
« Les meilleurs grimpeurs privilégient les qualifications olympiques et les Championnats du monde, laissant de côté les Coupes du monde. Cela affaiblit tout le circuit. »
Salles bondées, falaises en surchauffe
Avec la multiplication des salles d’escalade, l’engouement pour la discipline n’a jamais été aussi fort. Mais Jakob soulève un point crucial : que se passe-t-il lorsque les grimpeurs urbains débarquent en falaise ?
« Si tous les grimpeurs qui commencent dans une salle vont grimper dehors, ce sera un énorme défi. Beaucoup ne savent pas comment se comporter dans la nature. »
Pour lui, cette ignorance n’est pas une fatalité, mais le fruit d’un manque d’éducation. « Les athlètes, les salles, les gens qui donnent des cours – on doit tous mieux communiquer les règles. Mais aujourd’hui, c’est un vide. Personne ne s’y attelle vraiment. » Le résultat ? Des comportements inadaptés qui mettent en danger les espaces naturels déjà fragiles.
Le syndrome du cirque
Quand Jakob parle des compétitions de bloc, le constat est sans appel : « Trop souvent, les compétitions ont beaucoup trop de trucs fous. » Il critique une tendance où la créativité des ouvreurs vire à la surenchère : dynamiques absurdes, mouvements aléatoires, blocs conceptuels.
« Il y a des compétitions où la force digitale et la tension corporelle ne comptent pas du tout. Et ça, c’est clairement un problème. »
Pour Jakob, ces fondamentaux doivent rester au cœur du bloc, sans quoi il devient un sport complètement déconnecté de l’escalade sur rocher.
Le problème ne s’arrête pas là. L’aléatoire impacte directement la compétition : « Si un grimpeur comme Sohta Amagasa gagne une Coupe du monde à Innsbruck et ne passe même pas en demi-finale à la suivante, c’est étrange. On perd en lisibilité. » Et avec elle, la possibilité de créer des icônes. « Regardez le tennis : Federer, Djokovic, Nadal – leur constance a construit le sport. Dans le bloc, on manque de figures régulières. »
DNA : retour aux racines
Fatigué par les tumultes des compétitions, Jakob se concentre sur son premier amour : le rocher.
« Je voulais grimper dehors, juste pour le plaisir. J’ai passé trois semaines à Majorque, à faire du deep water solo, et maintenant, je pars dans le Verdon pour essayer 'DNA'. »
Cette voie, cotée 9c et signée Seb Bouin, représente plus qu’un défi technique : c’est une quête de pureté et un retour à l’essence de l’escalade. « Ce qui me motive, c’est partager cette passion. Si plus de gens découvrent cette joie, c’est une victoire. »
Dans cette interview publiée par BLOC House, Jakob Schubert trace une critique claire et passionnée des dérives de l’escalade moderne. Entre la surenchère des blocs compétitifs, les paradoxes des JO et l’explosion des salles, il appelle à un rééquilibrage essentiel. Une prise de hauteur bienvenue, à l’image de son style : puissant, précis, et ancré dans les réalités du terrain.