Reinhold Messner : l’homme qui ne plie pas
On croyait avoir tout lu sur Reinhold Messner. Les quatorze 8000 sans oxygène, l’ascèse de l’alpinisme pur, les déserts, les musées, les conférences — et puis ce regard perçant de vieux chaman qui dérange autant qu’il fascine. À 80 balais, Reinhold publie Par vents contraires, un livre-testament qui ressemble à une dernière cordée en solo. Pas pour gravir un sommet de plus, non. Pour raconter ce que c’est que d’avancer dans la bourrasque. D’exister à contre-sens. Et d’en faire une esthétique.

Ici, pas de storytelling prémâché, pas de punchlines de super-héros des cimes. Ou alors des punchlines à l’ancienne : sèches, sans effets spéciaux, mais qui cognent longtemps après la lecture. Reinhold Messner déplie sa vie comme on remonte une arête, ligne par ligne, mot par mot. Un livre sans oxygène, sans sherpa et sans excuses. Brut. Parfois bancal. Souvent touchant.
Il n’a jamais fait l’unanimité. C’est même un peu sa marque de fabrique.
Tout gosse, il préférait déjà les Dolomites aux équations du tableau noir. Plus tard, il préfère grimper léger, libre, loin des spits et des consensus. Ça crispe. Il critique l'escalade artificielle, démonte les échelles de cotation, secoue les dogmes comme on secoue un arbre mort. L’alpinisme n’est pas un sport pour lui. C’est une ligne intérieure. Une affaire d’éthique, pas de performance. Résultat : il se fâche avec tout le monde. Et il s’en fout.
« Je préfère le risque d’un mauvais choix seul à la sécurité du consensus. »
C’est dans cette solitude obstinée qu’il a construit sa légende. Et c’est peut-être là aussi qu’il est devenu plus qu’un grimpeur : un homme qui n’a jamais transigé avec lui-même.
Le fantôme du Nanga Parbat
Mais la corde a cassé un jour, au Nanga. 1970. Günther, son frère, y laisse la vie. L’expé tourne au drame, puis au tribunal moral. On l’accuse d’avoir sacrifié son frère. De mentir. D’écrire l’histoire en solo. Cinquante ans plus tard, il revient là-dessus, sans chercher à s’excuser ni à convaincre. Il pose les faits, ses blessures, ses doutes. Et cette faille qu’aucun sommet n’a jamais comblée.
« J’ai survécu à la mort, mais pas aux vivants. »
Un aveu cinglant. Et peut-être, la seule phrase qui résume ce que cette tragédie a laissé en lui : une solitude irrévocable.
L’ascension contre la pente du monde
Il n’a jamais porté les drapeaux. Ni ceux des nations, ni ceux des marques. Il a traversé les quatorze plus hauts sommets de la planète comme un franc-tireur, souvent seul, toujours hors format. Sans oxygène, sans artifices, sans mise en scène. Il grimpe comme d’autres écrivent des manifestes. Contre l’héroïsme de pacotille, contre les images léchées, contre la montagne Disneyland.
« Aujourd’hui, les sommets sont des décors. On y grimpe pour se faire voir, plus pour voir. »
Il crée des musées, défend l’autonomie du Tyrol, parle d’écologie avant que ce soit un hashtag. Reinhold Messner, c’est l’alpiniste qui a vieilli sans devenir une institution. Même à 80 ans, il reste rugueux, tranchant, pas tout à fait sortable. Et c’est précisément pour ça qu’on le lit.
Un livre-testament, sans filtre ni fond de teint
Dans Par vents contraires, il parle des morts, de la peur, des médias, de l’amour qu’il porte à sa jeune épouse. Il évoque ses obsessions, ses vérités. Il écrit comme il grimpe : en solo, avec une corde usée et la rage de celui qui n’a rien à prouver, mais encore des choses à dire. Ce n’est pas toujours élégant. C’est souvent juste.
« Il y a des jours où je voudrais redescendre, mais il n’y a plus de chemin. »
Il règle quelques comptes, mais surtout, il laisse une trace. Une empreinte. Pas celle du héros propret. Plutôt celle du gars qu’on aurait aimé croiser au pied d’une face nord, un jour de tempête, pour lui demander : « Pourquoi tu continues à monter ? » Et l’entendre répondre, un sourire dans les rides :
« Parce qu’il y a du vent. »
Par vents contraires de Reinhold Messner est disponible depuis le 19 mars 2025 – aux éditions Glénat.