Quand les champions payent la note : l’héritage empoisonné de Berne 2023
À Berne, l’été 2023 avait des allures de sommet conquis. Les Championnats du Monde d’escalade ont transformé la capitale suisse en un terrain de jeu spectaculaire, attirant les projecteurs du monde entier. Mais une fois les cris d’encouragement dissipés, les organisateurs ont découvert une autre réalité : celle d’un gouffre financier de 1,8 million d’euros. Nous avions déjà abordé ce fiasco financier dans un précédent billet, mais de nouveaux éléments récemment portés à notre attention nous poussent à revenir sur le sujet. Car au-delà des chiffres, ce sont désormais les athlètes suisses qui en paient le prix. Et si les prises ont tenu ce jour-là, c’est leur quotidien qui vacille aujourd’hui, bien malgré eux.
C’est Sofya Yokoyama, grimpeuse de l’équipe nationale, qui en parle le mieux. Invitée récemment sur le “That's Not Real Climbing Podcast”, un podcast dédié à explorer les dessous de l’escalade de compétition à travers des témoignages, elle a levé le voile sur une réalité bien moins glamour.
« Pour les quatre prochaines années, on pourrait devoir financer nous-mêmes certains déplacements et hébergements pour les compétitions, car le budget a été réduit. »
En cause : ce fameux dépassement de budget lié aux Championnats du Monde qui oblige aujourd’hui le Club Alpin Suisse (CAS) à rogner sur les frais alloués aux athlètes. Un désastre financier qui se traduit en termes bien concrets et qui pourrait bien devenir la norme.
« Cette année, tout était pris en charge, sauf pour Séoul. Pour cette Coupe du Monde, j’ai dû payer mon billet d’avion et mon hôtel. Heureusement, je le savais à l’avance, donc j’ai pu m’organiser. (...) Pour l’année prochaine, je ne sais pas encore exactement comment ça va nous impacter, mais c’est sûr que le budget global a été réduit. »
Pour comprendre l’ampleur du problème, il faut revenir à l’origine de ce trou béant. Les Championnats du Monde de Berne, organisés avec toute l’ambition d’un pays habitué à viser les sommets, ont été un exercice d’équilibrisme. Des dépenses mal anticipées, une planification optimiste et un événement qui a dépassé les moyens du CAS. Résultat : un déficit qui, selon Sofya, s’étalera sur « quatre ans » avant d’être absorbé. Pendant ce temps, ce sont les athlètes qui trinquent.
Le contraste est saisissant : le CAS, institution emblématique de la montagne suisse, se retrouve à couper dans le budget des jeunes talents qu’il est censé soutenir. Une situation d’autant plus frustrante que ces mêmes grimpeurs continuent de briller sur les compétitions internationales, portant haut les couleurs d’un pays qui ne leur rend pas toujours la pareille.
Sofya ne cache pas son amertume. Pour une athlète qui jongle déjà avec les contraintes d’un sport où les revenus sont rares, c’est une pression supplémentaire.
« C’est frustrant parce que ce n’est pas de notre faute. On fait ce qu’on peut pour représenter la Suisse, et maintenant on doit payer des frais qui étaient jusque-là couverts. (...) Heureusement, j’ai pu économiser un peu grâce à des aides passées, mais ce n’est pas viable pour tout le monde. »
Et pourtant, la grimpeuse garde le sourire, fidèle à l’esprit de résilience propre aux athlètes de haut niveau. Mais derrière ce calme apparent, c’est tout un modèle qui montre ses limites. Organiser un événement de l’ampleur des Championnats du Monde, c’est jongler avec des compétences logistiques, financières et marketing que le CAS, malgré toute sa bonne volonté, ne maîtrisait manifestement pas.
Ce qui devait être une célébration du sport suisse se transforme en une leçon d’humilité pour ses dirigeants. Sofya, elle, continue à grimper. Mais désormais, chaque déplacement, chaque compétition, chaque nuit d’hôtel a un prix. Et dans un sport où la passion ne paie ni les billets d’avion ni les loyers, cette réalité pèse de plus en plus lourd.
Pour écouter Sofya Yokoyama en parler directement, retrouvez son interview dans l’épisode dédié du “That's Not Real Climbing Podcast”. Les passages évoqués se situent entre les minutes 42:15 et 43:40.