Portrait : Paul Jenft, qualifié aux JO de Paris au terme d’une bataille fratricide
Il a fait de la polyvalence son principal atout. Et que ce soit sur les compétitions internationales, en falaise ou dans le cadre de ses études d’ingénieur, Paul Jenft excelle. Preuve en est, il vient de se qualifier aux Jeux Olympiques de Paris 2024 ce dimanche. Un succès qu’il doit à un travail sans relâche ainsi qu’à une passion dévorante.
« Difficile de profiter pleinement de ce moment après ce qu’on a vécu depuis trois ans avec Mejdi Schalck et Sam Avezou » raconte Paul Jenft quelques heures après avoir décroché son ticket pour les Jeux Olympiques de Paris 2024 sur la dernière étape des Olympic Qualifier Series (OQS). « On a poussé le curseur mental plus loin que jamais sans qu’aucun de nous ne craque jusqu’à la fin ».
« On méritait tous les trois d’aller aux JO. Tout cela était beaucoup plus intense que je ne le pensais »
C’était écrit depuis des semaines : l’issue de cette compétition serait terrible. Puisque trois Français qui évoluent depuis des mois à un niveau équivalent, Sam Avezou, Mejdi Schalck et Paul Jenft se battaient pour seulement deux places olympiques. Terminant 9e à l’issue des demi-finales samedi, ce dernier n’avait plus son sort entre les mains : son éventuelle qualification olympique allait reposer sur les performances de ses coéquipiers sur le dernier tour des OQS le lendemain.
Et au bout de plus de trois heures d’une finale irrespirable sur les murs hongrois, c’est Sam Avezou qui s'est montré le plus solide. De quoi le faire monter sur la plus haute marche du podium, synonyme de qualification olympique. Pour déterminer le deuxième qualifié français, il fallait ensuite comptabiliser les points acquis aux deux OQS (à Shanghai et à Budapest). Un scénario favorable à Paul Jenft qui a pu profiter d’une performance en demi-teinte de la part du talentueux Mejdi Schalck.
À l’issue d'un tour de bloc et d’un run en deçà de son niveau habituel, le vice-champion du monde prend ainsi la 3e place française au cumulé des deux OQS. De quoi laisser échapper son rêve olympique. Un résultat cruel qui témoigne malgré tout de l’extrême densité présente au sein de l’équipe de France, puisqu’avec sa performance, Mejdi aurait pu se qualifier au sein de la plupart des autres équipes nationales.
« Pour être honnête, ce n’était pas une bonne journée. C’était terrible d’attendre et de voir ce scénario se dérouler sans rien pouvoir faire » a réagi, visiblement marqué, Paul Jenft au micro de la Fédération française de la montagne et de l’escalade. « Il n’y avait pas d’issue idéale : c’est génial de partir aux Jeux mais c’est terrible d’avoir poussé Mejdi hors des quotas. On s’est préparé ensemble, on a vécu toute cette aventure l’un à côté de l’autre en refusant de penser que cette issue, pourtant possible, pouvait vraiment arriver. On méritait tous les trois d’aller aux JO. Tout cela était beaucoup plus intense que je ne le pensais ».
« J’ai trouvé un équilibre »
Avant d’enchaîner sur Paris 2024, dont les épreuves auront lieu du 5 au 10 août pour le combiné, la suite s’annonce plus studieuse pour Paul Jenft. Le grimpeur français tout juste qualifié aux Jeux Olympiques va devoir laisser ses chaussons d’escalade au placard, le temps de ses examens. « Je n'ai pas vraiment révisé, donc ça me déstresse un peu d'avoir une excuse si j'ai une mauvaise note » s’amusait-il peu après la compétition. Reste à savoir s’il va réussir à valider son année à Polytech Grenoble INP, une formation exigeante qu’il arrive à mener de front en parallèle de sa pratique du haut niveau.
La clé ? Beaucoup d'investissement personnel, de l'organisation et le soutien de son école qui aménage ses cours et son cursus. « Suivre des études d'ingénieur a toujours été un peu évident pour moi parce que c'est le moyen d'investir des domaines que j'aime, notamment les sciences. Alors oui, à chercher l'optimisation, le fait de s'entraîner le plus possible tout en étant performant à l'école, forcément parfois c'est trop. Mais c'est un rythme qui me convient et j'ai trouvé un équilibre », assurait-il en février dernier à France Info, déterminé.
Car pour le grimpeur, il a toujours été question de conserver les études. Au vu de ses résultats, il aurait pourtant été tentant de tout arrêter pour l’escalade. Car Paul a très vite performé. S’il a commencé l’escalade un peu par hasard, en suivant les traces de son père et de sa sœur, à l’âge de sept ans, il est très vite devenu accro. Porté par un insatiable désir de progression qui l’a conduit quelques années plus tard du côté de Chambéry, il a très vite performé : première sélection en équipe de France en 2017, champion d’Europe de difficulté jeunes, deux victoires en coupe d’Europe de bloc jeune, une en coupe d’Europe de difficulté jeune... Le tout en suivant un cursus scolaire traditionnel.
Son acharnement paiera en 2022, lorsqu’il remporte son premier titre national de champion de France de bloc senior. Il enchaînera par la suite sur une saison de Coupe du monde marquée par de nombreuses finales, aussi bien en bloc qu’en difficulté.
Un grimpeur à l’étonnante polyvalence
Son équilibre, Paul le doit également à sa pratique de la grimpe en extérieur. Un lieu qui lui permet de se ressourcer, bien qu’il l’ait quelque peu un peu délaissé ces derniers mois au profit des compétitions.
Et là aussi, il excelle. Et étonne. Paul, c’est un grimpeur de 9a (avec « Shortcut », à la Balme de Yenne, en Savoie), mais pas que. Le Chambérien d’adoption est aussi un grand amateur de grande voie. Il s’était notamment distingué en 2019 en enchaînant l'un des chefs-d’œuvre de Philippe Mussato, « Carnet d’Adresse » (250m, 8b+), une voie qui le faisait rêver depuis plusieurs années au Rocher du Midi, en Isère. Une vidéo retrace d’ailleurs cette superbe réalisation qui avait fait forte impression.
Avec cette ascension, bien loin des standards de l’escalade moderne avec ses longueurs très à méthodes sur petites prises, Paul Jenft sortait des clous. On avait rarement vu un compétiteur se frotter à ce genre de voie ! Si ce n’est un certain Cédric Lachat, son idole, qui fut longtemps sur les podiums internationaux avant de passer à de grandes voies extrêmes. Souhaitons-lui le même parcours. Agrémenté, qui sait, d’une médaille olympique.