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Photo du rédacteurAlexandre Nessler

Neom Beach Games : l’escalade dans les sables mouvants

Dans quelques semaines, les Neom Beach Games font leur grand retour en Arabie Saoudite. Au programme ? Les mêmes épreuves… et les mêmes polémiques. Vitrine du projet controversé de la ville futuriste Neom, l'événement divise le milieu de l’escalade de haut niveau. Entre les athlètes qui s’élèvent contre, les pressions silencieuses, et l’attitude embarrassante de l’IFSC : la compétition provoque une véritable tempête. Enquête sur un beau chantier.


Neom Beach Games Escalade
© Piet pour Vertige Media

Un an après, on aurait pu espérer que les choses changent. Mais non. Les mêmes critiques, les mêmes polémiques, et toujours cette sensation de crier dans le désert... Alors que l’an dernier, l’organisation de cette compétition en Arabie Saoudite avait déjà secoué le monde de l’escalade, les Neom Beach Games récidivent. Dans quelques semaines, 100 athlètes vont s'affronter sur des épreuves de vitesse et de bloc, au milieu d’un immense désert, sur les fondations d’une mégalopole qui n’existe même pas et qui célèbre un monde qui voudrait verdir entre deux puits de pétrole. Ce, avec le concours de la fédération internationale d’escalade, l’IFSC, qui a donc décidé de rempiler pour une année de plus. Et de prêter son image à une des plus grandes aberrations environnementales de l’histoire moderne.


L’errance d’Arabie


Bienvenue à Neom, donc. À l’origine, un désert. Demain, une mégalopole de près de 27 000 km² soit presque trois fois la taille de Paris. Pour ériger The Line, ville-édifice digne d’un film de science-fiction capable d’héberger 9 millions de personnes qui pourront toiser la Mer Rouge dans une ambiance futuriste où des gens ultra-riches se déplacent en hyperloop. Un projet titanesque aux ambitions écologiques illusoires, alors même que son chantier pourrait émettre plus de 1,8 milliard de tonnes de CO2. Un vingtième des émissions mondiales actuelles.


Ce chantier pose les fondations d’une opération de communication gigantesque de La démesure du projet est proportionnelle à la volonté de l’Arabie Saoudite d’assumer un soft-power en pleine érection. L’objectif ? Attirer l’attention du monde entier, mais cette fois, au-delà du pétrole. Et c’est en plein cœur de cette extravagance qu’une compétition sportive comme les Neom Beach Games lance sa deuxième édition. Au programme : basket 3x3, triathlon, beach soccer et... escalade !


Les jeux de la honte


Pour beaucoup de grimpeurs, professionnels ou amateurs, l’escalade n’a pas sa place au sein des Neom Beach Games. En témoigne la lettre ouverte du collectif défenseur de la montagne ACTS (Action Collective de Transition pour nos Sommets, ndlr), qui avait fait beaucoup de bruit au moment de sa publication l'année dernière. Signé par plusieurs grands noms de l’escalade tels que Nolwen Berthier, Hugo Parmentier, Soline Kentzel ou Sébastien Berthe, le texte engagé, transformé par la suite en pétition, demandait des comptes à la fédération internationale, lui reprochant un choix contraire à la mission qu’elle s’est elle-même donnée de « créer un monde meilleur grâce à l’escalade ». Réponse ? Silence radio.


Face à l’omerta, c’est sur les réseaux sociaux que les débats se sont prolongés. De nombreux athlètes du circuit mondial se sont positionnés contre la tenue de cet événement et ont encouragé les participants à prendre la parole ou à décliner l’invitation. Problème : aucun athlète n’a exprimé de regrets suite à sa participation. Manuel Cornu, finaliste de la dernière édition en bloc - s’il a finalement décidé de reverser ses gains à une petite marque de vêtements techniques d’escalade, a même défendu les organisateurs et son choix de participer. Malaise ?


Sans aucun doute. Cela dit, quand on interroge certains athlètes sur leur participation, la question se révèle plus complexe. Entre ignorance, sensibilité et défaut de communication, les grimpeurs peuvent aussi vite se retrouver face à un dilemme. « Lorsque j’ai reçu l’invitation, je ne connaissais pas du tout le projet Neom. J’ai même contacté la fédération pour vérifier que c’était une véritable compétition » explique l’un d’entre eux, sous couvert d’anonymat. Au sujet des critiques et appels au boycott, il évoque même une sorte d’hypocrisie. « La plupart des critiques de grimpeurs venaient de gens qui n’étaient pas invités. Quand vous avez le carton d’invitation entre les mains, que vous voyez l’opportunité de lancer votre saison avec une compèt’ comme celle-ci et les gains proposés, ce n’est pas évident de se dire qu’on peut refuser, se défend l’athlète. Maintenant, sur l’événement, je pense qu’il est difficile de s’y retrouver au niveau de ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas. Chacun a ses propres convictions, et ensuite il y a la réalité du sport de haut niveau. » poursuit-il, conscient du terrain glissant sur lequel il s’aventure. Il continue : « Il y a déjà eu des épreuves de coupe du monde organisées en Chine, un pays très critiqué également. Et plus personnellement, même si je considère que j’ai une sensibilité pour les questions environnementales, ce n’est pas compatible avec mon quotidien de sportif de haut niveau, qui exige de voyager aux quatre coins du monde en avion. »


« Quand vous avez le carton d’invitation entre les mains, que vous voyez l’opportunité de lancer votre saison avec une compèt’ comme celle-ci et les gains proposés, ce n’est pas évident de se dire qu’on peut refuser »

Pour d’autres athlètes, moins nombreux mais soucieux de faire entendre leur voix, il y a une véritable responsabilité à assumer chez les sportifs. Hugo Parmentier, membre de l’équipe de France depuis de nombreuses années, fait aussi partie des militants contre l’organisation des Neom Beach Games qui ont rédigé la tribune d’ACTS sortie en 2023. S’il comprend que la vie d’un sportif de haut niveau puisse être compliquée voire précaire, il considère que cela ne le dédouane pas de toute responsabilité. « Qu’on le veuille ou non, le sport est politique. Et les sportifs sont aussi là pour porter un message, affirme-t-il. Quel est le message lorsqu’on performe au nom d’un scandale environnemental et social dont le seul but est de satisfaire des ultra-riches qui ne subiront pas les effets destructeurs du réchauffement climatique ? » Il ajoute que dans le milieu de la grimpe, l’argument financier n’en est pas vraiment un. « Je connais quasiment tous les athlètes français, c’est un petit monde. On vient tous de milieux favorisés, et il y a d’autres manières de se faire de l’argent. »


« Qu’on le veuille ou non, le sport est politique. Et les sportifs sont aussi là pour porter un message »

La lourde responsabilité de la fédération


Hugo Parmentier est surtout en colère contre l’IFSC, qu’il juge dans un « déni total » en préférant détourner du fond du sujet, à la manière de politicards ». Selon lui, la responsabilité de la fédération est énorme « Il est légitime de vouloir atteindre ses objectifs sportifs, ou pour la fédération de vouloir développer son sport, concède-t-il. Mais il faut toujours se poser la question : à quel prix ? Et concernant les Neom Beach Games, cela me semble insensé. ». Après tout, n’est-ce pas le mandat des fédérations nationales d’informer leurs athlètes du caractère promotionnel de l'événement et des différents aspects polémiques du projet Neom ?


« C’est un sport en développement, c’est normal que de nouveaux événements émergent un peu partout, explique-t-il. Il faut du temps pour construire un calendrier stable et récurrent comme on peut le voir, par exemple, au tennis »

Mickael Mawem, grand nom de l’escalade sportive, croit au rebond de la fédération, bien qu’il ne se prononce pas en faveur ou contre la tenue des Neom Beach Games. « Mais j’ai bon espoir pour que l’escalade trouve sa place et retrouve les valeurs qui sont les siennes. C’est un sport en développement, c’est normal que de nouveaux événements émergent un peu partout. Il faut du temps pour construire un calendrier stable et récurrent comme on peut le voir, par exemple, au tennis. Par le passé, il y a déjà eu des événements qui ont été arrêtés car ils ne correspondaient plus aux exigences de la fédé ou des athlètes. Et il y en a d’autres, dont l’initiative avait peu de sens environnemental au départ, qui ont réussi à trouver des moyens de réduire leur impact. »


Pour lui, le principal est de préserver la liberté des acteurs de l’escalade. « Ce qui compte, c’est que chacun soit à l’aise avec ses propres valeurs, et que personne ne se sente forcé dans ses choix. » Or, cela ne serait pas toujours si évident, selon l’expérimenté grimpeur, qui observe également l’influence des sponsors auprès des athlètes. « Vous avez beau avoir vos propres convictions, si le sponsor qui paye votre t-shirt ou vos équipements souhaite vous voir sur un événement qui ne vous attire pas du tout, c’est difficile de dire non. » En atteste, selon lui, l’exemple d’Adam Ondra, très critique à l’égard de l’escalade de vitesse et des Jeux Olympiques, qui avait fini par y participer malgré tout, poussé par ses sponsors.


D'après Hugo Parmentier, c’est précisément parce que l’escalade est un sport en plein développement qu’il s’agit de faire un choix. « Il est encore temps de décider de la direction que l’on veut prendre en tant que sport, veut croire le grimpeur de 26 ans. Encore plus que les autres sports, l’escalade a un rapport particulier à l’environnement. Ses pratiquants sont historiquement amoureux de la nature et leur épanouissement en dépend. Le respect de la nature et des autres usagers, des autres communautés, est intrinsèque à l’escalade. Il est encore temps de le rappeler en évitant de se mêler à des projets comme Neom. » Après ses débuts aux jeux olympiques et l’arrivée de nouveaux projets juteux comme le Neom Beach Games, nul doute que l’escalade de haut niveau est à un point clé de son développement. Entre soif d’expansion et devoir d’éthique, le dilemme reste entier.

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