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Morgan Segui : cinq jours pour renaître

Chez Libertalia, chaque livre est une ascension. Pas une de ces balades bien balisées, mais un voyage dans l’inconnu, où la pensée s’accroche pour ne pas lâcher. C’est là, dans ce bastion militant, que Morgan Segui nous a donné rendez-vous. Grimpeur instinctif, designer itinérant, et survivant, il signe avec "Cinq jours au Timor" un récit aussi abrupt que les falaises qu’il escalade. Entre le vertige et la transcendance, il raconte une rencontre décisive : celle d’un homme avec la montagne, celle qui ne pardonne rien.


Morgan Segui
© Vertige Media

Des racines acrobatiques à l’escalade brute


Pour Morgan, grimper n’a jamais été une activité sportive mais une pulsion viscérale, une manière de respirer. Enfant, il escaladait arbres, murs d’église et fontaines, toujours en quête de hauteur pour fuir l’étouffement de la ville. « La ville m’étouffait, alors je m’échappais. Un arbre, une façade, une falaise : tout était bon à prendre. » Cette quête d’air et de mouvement l’a mené au cirque Fratellini, où il a affûté ses gestes et sa maîtrise corporelle. Pourtant, c’est dans l’escalade qu’il trouve sa vérité. « Je n’ai jamais cherché à faire de la performance. Pour moi, grimper, c’est dialoguer avec la roche, pas la dominer. »


Cet état d’esprit, entre humilité et recherche d’absolu, guide chaque mouvement. Morgan ne grimpe pas pour impressionner, mais pour s’accorder avec la nature. Les figures qui l’inspirent, ces grimpeurs emblématiques, deviennent des repères dans les moments d’adversité. « Quand tu grimpes, tu es seul, mais pas totalement. Ceux qui t’ont inspiré, ils sont là, quelque part, dans tes gestes. »


L’ascension d’Ataúro : la montagne et ses esprits


Installé au Timor oriental pour filmer des ONG, Morgan découvre Ataúro, une île montagneuse auréolée de mysticisme. Considérée comme le territoire des esprits par les habitants, cette montagne sacrée attire et effraie à la fois. « J’ai promis de ne jamais aller la gravir avec le bateau touristique. J’avais un voilier dans mon jardin : je l’ai réparé, appris à naviguer sur YouTube, et je suis parti. » Ce projet audacieux, presque irréfléchi, commence comme une exploration naïve avant de basculer dans la survie.


Parti trop tard, sans eau suffisante ni véritable préparation, Morgan se perd dans les hauteurs. « Le sentier a littéralement disparu sous mes pieds. Tout le monde m’avait prévenu que c’était une montagne imprévisible, mais j’ai voulu tenter ma chance. » La nuit tombe, le plongeant dans l’obscurité, tandis qu’il improvise une descente par une suite de cascades asséchées.


Les voix imaginaires : un solo improbable


Coincé face à une paroi abrupte, Morgan convoque ses héros, ces figures qui ont toujours guidé ses gestes. Catherine Destivelle, Alain Robert, et Erri De Luca lui apparaissent comme des spectres familiers, chacun jouant son rôle dans ce dialogue imaginaire. « Destivelle me soufflait : ‘Prends ton temps, fais-le proprement.’ Robert, plus mordant : ‘Alors, on va faire du solo en touriste ? C’est sérieux, ça ?’ De Luca, lui, restait silencieux, comme s’il me disait : ‘Tu sais quoi faire.’ »


À la frontière du délire et de la lucidité, ces voix deviennent ses alliées, insufflant un étrange mélange de calme et d’urgence. Alors, Morgan tente l’impossible : escalader. « Grimper de nuit, avec une frontale cassée tenue par trois doigts, sur une falaise qui s’effrite, c’était absurde. Mais je vivais mon moment. » Cet effort acharné, presque insensé, se termine brutalement. Une chute, le corps qui percute la roche, et un réveil douloureux sur une corniche volcanique. Le corps broyé, il se retrouve suspendu entre la vie et la mort, face à la seule certitude qu’il lui reste : tenir, coûte que coûte.


Cinq jours pour renaître


Le récit de Morgan commence avec cette chute. Coincé sur cette corniche, il survit en buvant son urine, en grignotant des plantes et en observant les étoiles. « Je savais que j’allais mourir, mais cette certitude m’a apaisé. Chaque étoile, chaque détail devenait un trésor. » Au troisième jour, il prend une décision : tenter l’impossible et remonter, pas à pas. « C’était comme gravir le Ventoux à vélo : un tour de pédale après l’autre. Rien d’autre n’existe que le pas suivant. »


Guidé par un instinct presque animal, il finit par retrouver la surface, où il croise Moïse, un berger timorais. « Moïse m’a vu, avec ma tête ouverte comme une banane, et a prié pour moi. Il ne m’a pas demandé d’explications. Pour lui, j’étais une âme égarée, à sauver. »


Écrire pour recoudre l’indicible


De retour en France après plusieurs opérations, Morgan se lance dans l’écriture. Ce qui commence comme un exutoire devient un livre. « Je n’avais jamais écrit avant, mais les mots sont venus. Ils étaient déjà là, quelque part, attendant leur moment. » Son manuscrit, d’abord partagé sur Facebook, rencontre un succès inattendu. Les lecteurs se reconnaissent dans ce mélange de brutalité et de poésie. « Ce n’est pas juste une histoire d’accident. C’est une réflexion sur ce qui nous pousse à chercher les limites, et parfois à les franchir. »


Morgan interroge également la nature même du risque : pourquoi mettons-nous nos vies en jeu pour une idée, une cime, ou un moment fugace ?


La montagne comme miroir


Pour Morgan, la montagne n’est ni un ennemi, ni un trophée. Elle est un miroir, brutal et honnête. « Elle te renvoie à toi-même, sans fard. Tu peux prétendre être fort, mais elle sait la vérité. » Son livre, à mi-chemin entre aventure et introspection, explore cette dualité. Entre la quête de liberté et l’acceptation des limites, il trace un chemin où l’humain et la nature se retrouvent.


Loin d’être un simple récit de survie, "Cinq jours au Timor" est une ode à la simplicité radicale. « Dans la montagne, tu n’as besoin de rien, ou presque. Ce qui reste, c’est toi, face à l’essentiel. »


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