Micka Mawem et Chris Sharma : Un duo improbable sur « Le Blond »
Batman et Robin, Astérix et Obélix, Adam Ondra et les cris d’outre-tombe. Certains duos coulent de source. D’autres, franchement moins. D’un côté, Micka Mawem, félin bondissant nourri aux compètes et aux shakers de protéines, où tout se joue en dix mouvements. De l’autre, Chris Sharma, maître du caillou, philosophe du flow, plus du genre à se faire pincer pour un joint la veille d’une compète que pour un excès de créatine. Rien ne les prédestinait à grimper côte à côte, et encore moins à s’acharner sur un monstre sans nom, une ligne dont même Sharma ne connaît la cotation exacte. Et pourtant, les voilà suspendus sur « Le Blond », une voie aussi mythique qu’invaincue, quelque part sur le calcaire d’Oliana.

Un héritage sur prise
Les grimpeurs ont parfois la mémoire courte, mais pas Chris Sharma. En 2012, il équipe « Le Blond », juste après la disparition de Patrick Edlinger, pionnier de l’escalade libre, icône du solo intégral et des cheveux au vent. Un hommage en forme de mur, une pierre angulaire plantée dans le paysage vertical. Une décennie plus tard, toujours aucun enchaînement. Et qui débarque pour poser les doigts sur ce bout d’histoire ? Micka Mawem, un pur jus du bloc, enfant du plastique et des volumes vissés. L’ironie est belle.
Micka Mawem débarque sur la planète falaise
Pour Micka Mawem, la falaise, c’est un monde parallèle. Pas qu’il n’ait jamais mis un chausson dehors, mais il n’a jamais eu l’endurance d’y traîner longtemps. Son terrain de jeu, c’est la compète, l’instantanéité, la force brute condensée en quelques essais. Son dernier gros run en falaise ? Un 8b+, il y a un bail. Là, on parle d’un potentiel 9c.
Mais plutôt que d’arriver en touriste, Micka Mawem fait ce qu’il fait de mieux : décortiquer, analyser, comprendre. Parce que « Le Blond », ce n’est pas juste une voie dure. C’est une aberration biomécanique. Un calvaire de continuité où chaque section semble penser que tu es déjà mort. Et surtout, un passage-clé totalement absurde : le Scorpion.
Un pas de bloc coincé dans un marathon de grimpe. Un pivot dans le vide, une réglette invisible, et un timing à rendre fou un robot japonais. Impossible à lire, illogique à exécuter. Et pourtant, il faut bien y aller.
Chris Sharma, toujours en quête d’un sommet flou
Pendant que Micka Mawem découvre les joies du combat en falaise, Chris Sharma, lui, redécouvre son propre projet. Il l’a équipé, essayé, laissé de côté, repris. Il sait qu’il peut le faire, mais il ne l’a jamais fait.
Pas par manque de force. Pas par manque de technique. Mais parce qu’à ce niveau, ce n’est plus une question de physique. C’est une affaire de tête.
Chris Sharma ne cherche plus à prouver qu’il est encore capable. Il veut se mesurer à la voie, pas à lui-même. Il sait que la performance n’est plus une finalité, mais un processus.
Et là, avec Micka Mawem, quelque chose change.
D’Oliana à Barcelone : hacking de mouvement
Après une journée à saigner sur le caillou, Micka Mawem et Chris Sharma déplacent le combat. Direction Sharma Climbing à Barcelone, où ils entreprennent de disséquer le Scorpion en laboratoire.
En falaise, chaque essai coûte cher : l’énergie, la peau, l’engagement. En salle, on répète jusqu’à l’obsession, sans contrainte, sans conséquence. Micka Mawem passe en mode ingénieur du bloc. Il teste, ajuste, cherche une faille dans l’impossible. Un pied un peu plus haut ? Un angle plus tranché ? Une relance plus directe ? Il ne s’agit pas de tricher la difficulté, mais de la comprendre.
Chris Sharma, lui, observe et teste. Lui qui a toujours grimpé à l’instinct se retrouve à intellectualiser son propre projet. Et mine de rien, ça fait une différence.
Deux grimpeurs, un même vertige
Ils sont venus pour comprendre. Micka Mawem, avec son regard neuf et ses réflexes de compétiteur, dissèque la voie comme un problème à résoudre. Chris Sharma, lui, accepte de prendre du recul, de questionner son propre processus. Deux grimpeurs que tout oppose mais qu’un même objectif réunit : décoder l’impossible.
Un défi que Thibaud Herr a suivi de près, caméra en main, capturant chaque tentative, chaque doute, chaque fulgurance. Parce que derrière l’escalade, il y a aussi cette science du détail, ce jeu d’ajustements millimétrés qui sépare l’échec du succès.
Quant à « Le Blond » ? Toujours impassible, comme une énigme qui attend son dénouement. Le premier qui viendra à bout de cette histoire devra parler sa langue, pas l’inverse.