Maurice Latapie, entre pédagogie sauvage et autogestion
Alors que l'étape briançonnaise de la Coupe du monde d'escalade battait son plein, c'est sur la terrasse d’un café, là où il a ses habitudes, que nous avons retrouvé Maurice Latapie, alias Momo. Là où certains préfèrent les discours bien léchés sur l’escalade moderne, Momo, lui, ne s'embarrasse pas de formules. Cette figure emblématique de la FSGT, qui a contribué à tracer les premiers parcours jaunes pour débutants à Fontainebleau dans les années 50, n'a rien perdu de sa verve.
Les premières traces : quand tout était à inventer
« On était jeunes, naïfs, et on ne connaissait rien en pédagogie » lance Momo, en parlant de cette époque où il fallait tout faire soi-même. Dans les années 50, Fontainebleau n’avait pas de parcours pour les débutants. Alors, avec une bande de copains aussi fauchés que déterminés, ils ont pris l’initiative de créer les premières pistes jaunes pour ceux qui arrivaient parfois en chaussures de randonnées, d’autres avec des baskets. Rien de bien académique, mais c’est là que l’histoire commence, au Rocher Canon, autour de 1956.
À l’époque, il n’était pas rare de voir une centaine de jeunes débarquer, et pour une trentaine d'entre eux, le bivouac était de mise. On partait en train, en autocar, et c’était surtout une aventure collective. Momo se souvient encore de ces groupes qui venaient « de la Porte d’Italie » pour finir leur périple « à pied, dans les champs, autour de bouffe collective, mais surtout de convivialité ».
La pédagogie, made in FSGT : de l’utopie au concret
Si aujourd’hui les méthodes d’apprentissage sont largement codifiées, Momo et ses camarades n’en avaient cure. Ils ont appris sur le tas. « On faisait des simulations entre les arbres pour préparer les grandes voies aux Ardennes belges ou au Saou », raconte-t-il. Le tout, dans une ambiance où le savoir se transmettait d’une manière bien particulière : « On avait nos cinq mousquetons et nos ceintures, et on faisait des démonstrations pour une cinquantaine de jeunes qui regardaient. On avait l’impression d’être des pionniers, mais en réalité on improvisait constamment ».
« On avait nos cinq mousquetons et nos ceintures, et on faisait des démonstrations pour une cinquantaine de jeunes qui regardaient. On avait l’impression d’être des pionniers, mais en réalité on improvisait constamment ».
Cette culture de la débrouille et de la transmission collective, ils la poursuivent aujourd’hui à Freissinières, un camp d’escalade autogéré où les activités sont multiples : escalade bien sûr, mais aussi VTT, canyoning, randonnées. « On y va tous avec des diplômes béton, mais chacun apporte ses compétences », explique-t-il. Une manière d’éduquer loin des SAE (structures artificielles d’escalade), avec un retour aux fondamentaux : « Pas de SAE l’été, on n’y a pas accès de toute façon ».
De l’escalade à la vie collective : des idéaux bien ancrés
Ce qui frappe chez Maurice Latapie, c’est la profondeur de ses convictions. Pour lui, l’escalade ne se résume pas à une activité physique, c’est un modèle de société. « On est responsable des autres », martèle-t-il. C’est cette idée de responsabilité collective qui guide encore aujourd’hui l’organisation des camps.
« Ce n’est pas une hiérarchie où l’initiateur est là pour dire ‘suivez-moi, regardez mes grosses chaussures’, c’est plutôt ‘on apprend tous ensemble’ »
Mais attention, ici, pas de gourou. « Ce n’est pas une hiérarchie où l’initiateur est là pour dire ‘suivez-moi, regardez mes grosses chaussures’, c’est plutôt ‘on apprend tous ensemble’ ». À la FSGT, tout le monde a sa place, des débutants aux vétérans, et chacun peut exprimer ses peurs ou ses forces. « On n’est pas là pour se la jouer, mais pour faire avancer tout le monde ».
Quand la montagne devient politique : entre écologie et solidarité
Pour Maurice, l’escalade n’a jamais été une activité isolée du reste du monde. Au contraire, les camps sont un lieu de réflexion sur les problématiques de société. Aujourd’hui, ce sont des questions comme la solidarité avec les migrants, le féminisme ou encore l’écologie qui animent les discussions autour du feu de camp. « Avec les JO de 2030 qui s’annoncent, c’est un désastre écologique en préparation », fulmine-t-il. Des milliers de lits touristiques, des télécabines étendues jusqu’au glacier, des routes taillées dans la forêt… le tout pour une poignée de vacanciers privilégiés.
« On voit bien que ce modèle est absurde », ajoute-t-il, « et ici, on en parle, on ne reste pas les bras croisés ». Le camp de Fressinières devient alors un lieu de débat où les idées fusent jusqu’au bout de la nuit, avec des intervenants extérieurs et des associations engagées.
Un dernier mot : populariser l’escalade ou mourir à petit feu ?
Ce qui pourrait sembler paradoxal, c’est que malgré son amour pour l’autogestion et l'accessibilité des pratiques, Momo reconnaît aussi que l’escalade s’est en partie embourgeoisée. « À la FSGT, on a démocratisé l’escalade pour des milliers de personnes, mais aujourd’hui, ça glisse vers des classes moyennes supérieures », regrette-t-il. Les blocs en salle, cette invention pourtant issue de la FSGT, sont devenus une activité lucrative. « Les salles privées font du fric, ok, ça permet de développer l’escalade, mais est-ce qu’on peut vraiment se contenter de ça ? »
« Les salles privées font du fric, ok, ça permet de développer l’escalade, mais est-ce qu’on peut vraiment se contenter de ça ? »
Pour Momo, l’avenir de l’escalade ne peut pas se réduire à ces pratiques commerciales. Ce qu’il prône, c’est une escalade populaire, conviviale, responsable. « Tout le monde est à la production, pas de leaders, chacun apprend de l’autre ».
Et c’est probablement là que réside l’essence de la FSGT, et de Maurice Latapie : dans cette idée que l’escalade, comme la société, doit être portée par toutes et tous, pour toutes et tous.