Grimpeurs et « baisodromes » : Marianne en pleine sortie de route éditoriale
- Pierre-Gaël Pasquiou
- il y a 18 heures
- 4 min de lecture
En qualifiant les salles d'escalade de « baisodromes », Marianne voulait peut-être simplement attirer le clic. Résultat : une avalanche de réactions indignées chez les grimpeurs, et une question de fond qui mérite d'être posée : peut-on tout simplifier au nom du sensationnalisme médiatique ?

Quand on a partagé ce fameux article dans nos stories Instagram ce week-end, on imaginait certes réveiller quelques susceptibilités, mais pas déclencher un tel déluge d’indignation. Rapidement, toute une communauté s’est insurgée, réagissant face à un média dont la subtilité reste malheureusement souvent au vestiaire. Et cette fois, c'est la grimpe qui en fait les frais.
Marianne dans le vide, la colère des grimpeurs
Dès sa publication, le titre de Marianne a suscité une indignation unanime et immédiate chez les grimpeurs. Sur Reddit, plateforme d’expression certes parfois piquante, mais souvent juste dans son diagnostic, une grimpeuse résume clairement la colère collective :
« Associer ces lieux presque à des lieux de prostitution ou de clubs échangistes est scandaleux. Même si c’est une citation, comment peut-on en faire un titre ? Au nom de quelle éthique ? »
La question, aussi brutale que pertinente, fait mal parce qu’elle touche à l’essentiel : derrière une apparente légèreté, Marianne choisit sciemment de simplifier une discipline complexe, riche, et porteuse de valeurs fortes, à une formule racoleuse. Certes, efficace. Mais profondément injuste.

Plus loin, un autre utilisateur de Reddit, avec une pointe d’agacement teintée de lucidité, souligne le problème de fond :
« Ce qui me choque le plus, c’est l’ignorance totale de ce qu’est l’escalade. Si c’était simplement pour parler d’amour, le titre aurait pu rester simple. Mais il fallait évidemment choquer pour attirer le clic. »
Touché. Car derrière le choix de ce terme cru, presque grotesque, se dessine un problème journalistique majeur : la tentation permanente d’attirer le clic facile au détriment d’un propos juste, précis et respectueux.
Une démarche initiale pourtant bienveillante
Le plus troublant dans cette histoire, c’est que l’intention première semblait à mille lieues du racolage final. Quelques jours avant la sortie de son article, la journaliste de Marianne publiait sur son compte LinkedIn un appel à témoignages d’une douceur presque naïve, cherchant à mettre en lumière les rencontres amoureuses permises par le sport. On était alors loin, très loin, de l’ambiance sulfureuse du « baisodrome » final.

Que s’est-il passé en trois jours pour transformer cette jolie histoire potentielle en une caricature aussi maladroite ? Probablement rien d’autre qu’une réunion éditoriale, où la nécessité d’un titre accrocheur a pris le pas sur l’éthique d’un sujet. Une histoire d’amour douce-amère entre l’audience et le respect des pratiques qu’on raconte.
L’escalade, victime facile du cliché médiatique
Bien sûr, personne ne nie l’évidence : les salles d’escalade, comme tous les lieux où se croisent des êtres humains, sont propices à des rencontres. Mais résumer ce sport à cette seule dimension mondaine et sentimentale, qui plus est dans un hebdomadaire d'information politique et générale largement diffusé, est une erreur d’appréciation qui révèle une méconnaissance profonde de ce milieu.
Certes, nous-mêmes à Vertige Media ne sommes pas toujours exempts de ce reprochable péché mignon éditorial, notamment quand nous publions des micro-trottoirs humoristiques sur la drague en salle ou des contenus légers à l’occasion de la Saint-Valentin. Mais précisément parce que nous connaissons la tentation de ce type de raccourci, nous savons à quel point la frontière est subtile entre un clin d'œil amusé et une réduction brutale du sujet traité.
Un internaute, toujours sur Reddit, pointe intelligemment ce glissement :
« L’escalade, c’est avant tout une question de confiance et de respect mutuel. Réduire cela à des rencontres amoureuses, c’est passer à côté de l’essence même de cette discipline. »
Voilà précisément ce qui dérange le plus profondément les grimpeurs : le manque de compréhension, d’attention au réel, de finesse dans le regard porté sur leur pratique. Comme si l’escalade ne méritait pas mieux qu’un trait d’esprit bancal et provocateur pour exister médiatiquement.
Le clic à tout prix : un symptôme plus profond
Évidemment, la facilité consisterait à jeter l’opprobre uniquement sur Marianne. Mais soyons honnêtes : cette tentation du raccourci facile, tous les médias la connaissent. Vertige Media inclus. Et si nous veillons à éviter ces pièges, c’est précisément parce que nous en connaissons l’existence et la séduction permanente.
Il serait naïf de nier que le paysage médiatique actuel pousse chaque média à toujours plus de surenchère pour attirer l’attention du lecteur. Mais justement, cette réalité ne peut être une excuse permanente à la déformation, au raccourci blessant, à la caricature facile. Au contraire, elle exige une vigilance accrue, une conscience aiguë des limites à ne jamais franchir.
Cette polémique rappelle aussi une évidence : la responsabilité particulière d’un hebdomadaire d’Information Politique et Générale (IPG) tel que Marianne, dont la mission première est précisément de ne pas déformer ou biaiser les sujets sociaux ou sportifs dont il se fait l’écho. À ce titre, cette dérive éditoriale n’est pas seulement maladroite, elle contredit l'essence même du journalisme IPG : éclairer la complexité plutôt que céder au raccourci simpliste.
Le choix des mots, entre élégance et responsabilité
Si cette polémique a provoqué autant de réactions, c’est justement parce qu’elle rappelle une vérité fondamentale : en journalisme, le choix des mots est un acte de responsabilité, une prise de position éthique. Ce n’est jamais un acte anodin. Chaque formule employée dessine une vision du sujet abordé, chaque terme choisi révèle le respect – ou l’absence de respect – que l’on porte à son lecteur.
À Vertige Media, cette affaire nous conforte dans une conviction forte : oui, nous aimons les titres intelligents, incisifs, qui suscitent la curiosité. Mais jamais en sacrifiant la dignité du sujet abordé. Car nous pensons qu’il est possible, et même nécessaire, de conjuguer efficacité éditoriale et exigence intellectuelle.
Sans vouloir donner de leçon, Marianne aurait peut-être pu se souvenir d’une règle d’or : à force de vouloir attraper l’attention à tout prix, on finit parfois par perdre ce que l’on voulait raconter. Autrement dit, mieux vaut un titre qui ouvre une réflexion, plutôt qu’une formule qui ferme définitivement le débat.