Lauriane Miara : L’art pour refuge, la montagne comme point d’appui
Au festival Femmes en Montagne, l’atelier d’aquarelle de Lauriane Miara attire les initiées. Elle anime la séance avec des gestes précis, des mots qui dépassent la simple technique du dessin. On reste après la session, intrigué, pour comprendre ce qui se cache derrière cette artiste à l’aura envoûtante. Lauriane raconte son parcours, direct, sans détours : « Je viens d’un milieu rural, du nord-est de la France, Champagne-Ardenne, où l’art, franchement, c’est pas la priorité. Il y a d’autres urgences sociales, économiques, pédagogiques. »
Dès l’enfance, le dessin s’installe pourtant comme un espace à part, un endroit où elle trouve refuge. « Ma mère dessinait aussi, elle peignait beaucoup dans son temps libre, et elle nous emmenait, mon frère et moi, dans des musées. Mais voilà, c’est pas comme si j’avais une lignée d’artistes derrière moi. » Lauriane parle de cette connexion au dessin avec simplicité, et derrière cette simplicité, on devine une sensibilité qui la pousse, la structure.
Très tôt, elle sent aussi cette attirance pour la nature. « Petite, j’organisais des manifs contre la pollution et des pétitions contre la chasse à la baleine. J’avais six ans. » Elle rit de ses premiers pas dans l’activisme, mais on sent que ce lien avec l’environnement s’est renforcé au fil du temps, en se teignant de nuances plus profondes. « J’essaie de faire passer des messages dans mon travail. Mais je suis pas dans la moralisation. L’humour, par exemple, permet de toucher autrement. » Ce besoin de toucher, de sensibiliser, se fond dans ses aquarelles, sans jamais imposer.
L’Alaska : le choc des grands espaces
2016 marque un tournant. Lauriane part en Alaska avec deux amis, et ce voyage se révèle déterminant. « C’est un électrochoc artistique. En Alaska, j’ai découvert un monde brut, sauvage. Rien à voir avec la France, où tout est aménagé, cadré. » En Alaska, elle découvre des étendues qui échappent aux normes et aux contours. Là-bas, la nature est vaste, impérieuse, loin de l’idée de paysage domestiqué. Elle en parle avec une intensité retenue, mais on perçoit bien l’impact que ce voyage a eu sur elle. « En voyant ces paysages immenses, j’ai compris que la nature peut être un sujet à elle seule. Il y a des histoires à raconter, même sans présence humaine. »
« Dans l’histoire de l’art, on voit rarement des paysages sans présence humaine, et pourtant, il y a tellement de choses qui se passent dans la nature, des drames, des comédies, des vies animales. »
Un moment de silence s’installe, comme si elle revisitait intérieurement ces paysages d’Alaska. Depuis cette expédition, son art s’oriente différemment. Elle cherche désormais à capturer « ce qui est là sans qu’on le voie toujours : les cycles naturels, les écosystèmes qui existent sans qu’on les force ». Cette approche la distingue, et elle souligne : « Dans l’histoire de l’art, on voit rarement des paysages sans présence humaine, et pourtant, il y a tellement de choses qui se passent dans la nature, des drames, des comédies, des vies animales. »
L’Alaska, pour elle, marque le moment où elle décide de montrer la nature pour elle-même, sans qu’il soit nécessaire d’y ajouter l’humain. Elle cherche à s’effacer, à offrir une autre perspective, celle qui regarde sans besoin de capturer ni de posséder.
Escalade et contemplation : le rocher comme territoire intérieur
En dehors de l’aquarelle, Lauriane se consacre aussi à l’escalade, une pratique où, pour elle, l’idée de compétition n’a pas sa place. « Ce que j’aime dans l’escalade, c’est le contact avec le rocher, être dehors. Je grimpe l’été, et donc à chaque printemps, je repars de zéro. » Pour elle, grimper est une manière de ralentir, de se recentrer. « Pendant une montée, je me concentre uniquement sur où poser mon pied, ma main. C’est mon refuge, un peu comme le dessin. J’ai enfin l’impression d’échapper à l’espèce de frénésie qui nous entoure. » Elle ajoute, presque en confidence, que ce moment suspendu dans la montée la libère de tout le reste : « Tu te rends compte parfois que, pendant la montée, tu as enfin réussi à penser à rien d’autre, et ça fait un bien fou. »
« Tu te rends compte parfois que, pendant la montée, tu as enfin réussi à penser à rien d’autre, et ça fait un bien fou. »
Lauriane choisit aussi ses mots avec soin pour parler de la montagne, comme elle choisirait une couleur sur sa palette. « La montagne, ce n'est pas un "terrain de jeu". Ce n’est pas un parc d’attractions où on va se défouler. Elle est là pour elle-même. C’est un lieu de vie pour les animaux, les plantes, des écosystèmes entiers. » Pour elle, parler de la montagne comme d'un « terrain de jeu », c’est passer à côté de quelque chose de fondamental.
Elle le dit avec ce même respect qu’elle accorde au monde naturel : la montagne n’a pas besoin de nous pour exister. En grimpant, Lauriane semble chercher ce contact brut, direct avec le rocher. Ce qui compte pour elle, ce n’est pas l’effort en soi, mais l’attention pure qu’exige chaque geste, chaque prise, une présence entière, sans autre but que d’être là.
Entre science et art : des langages qui se croisent
Ce souci du détail, cette curiosité pour les écosystèmes, elle les doit en partie à son parcours académique. Avant de se consacrer pleinement à l’art, Lauriane a étudié les sciences de la Terre. Et pour elle, science et art sont loin d’être opposés. « On pourrait croire que science et art sont deux choses différentes, mais en fait, il y a de la poésie dans la science. » La poésie, elle la trouve dans l’observation, dans cette attention qui capte l’invisible, qui donne à voir sans tout expliquer.
Depuis plusieurs années, elle collabore avec des chercheurs, des parcs nationaux, des associations environnementales pour illustrer leurs projets. « Cet été, j’ai fait de la BD de vulgarisation scientifique sur un voilier. C’était un avantage énorme de comprendre le jargon scientifique. Ça m’aidait à simplifier et mettre en image sans trahir les idées. » Elle parle de ce projet avec simplicité, mais on sent bien que cette fusion entre science et illustration fait partie intégrante de son identité.
« Aujourd’hui, les chercheurs s’ouvrent davantage au grand public, ils veulent rendre leurs travaux accessibles. Et l’illustration, c’est un moyen fantastique pour vulgariser la science. »
« Aujourd’hui, les chercheurs s’ouvrent davantage au grand public, ils veulent rendre leurs travaux accessibles. Et l’illustration, c’est un moyen fantastique pour vulgariser la science. » Elle voit dans cet équilibre entre science et art une forme de transmission nécessaire : éveiller la curiosité sans contraindre le regard, offrir des perspectives ouvertes. Cette vision de l’art comme interface, comme ouverture, est au cœur de plusieurs de ses travaux.
L’art de toucher sans tout dévoiler
Lauriane Miara est de ces artistes qui donnent à voir, mais sans jamais tout dévoiler. À travers ses aquarelles, elle exprime une sensibilité pour la nature, un respect pour le monde sauvage, mais elle laisse toujours une part d’invisible. « On me dit souvent que mes dessins touchent les gens, qu’ils y voient des choses que je n’avais pas imaginées. »
Elle écoute ces retours, attentive, et l’on devine que, derrière son regard perçant, elle garde ses propres paysages intérieurs, des histoires qu’elle ne dévoile qu’en partie, laissant à chacun le soin d’y lire les siennes. Rencontrer Lauriane, c’est découvrir une artiste qui fait parler la nature tout en gardant son jardin secret. Ses aquarelles, loin des codes conventionnels, sont une invitation à aller au-delà du visible. Elle appartient à cette rare catégorie de ceux qui montrent sans orienter, laissant chacun libre de trouver ce qu’il veut – ou ce qu’il peut – dans son monde.