Interview - La nutrition au service de la grimpe avec Caroline
Manger moins pour grimper mieux ? Ce n'est pas l'avis de Caroline Milenkovic Messin, une experte en alimentation qui a transformé sa carrière pour se concentrer sur la nutrition et le bien-être des grimpeuses et grimpeurs. Coach indépendante, mais aussi à l'origine d'un livre dédié à l'alimentation pour les grimpeuses et grimpeurs, Caroline a accepté de partager un moment avec nous pour répondre à nos questions. L'occasion d'en savoir plus sur sa trajectoire de vie, son métier et bien entendu sur le sujet de l'alimentation dans le cadre de notre pratique.
Bonjour Caroline, pour commencer cet échange, est-ce que tu peux nous en dire plus sur ton parcours professionnel ?
À la base j'ai un parcours plutôt scientifique dans l'alimentation. J'ai été responsable qualité dans l'agroalimentaire pendant plus de 15 ans. La qualité, la sécurité alimentaire, la gestion des risques, le développement de produits, etc.
Et puis à un moment donné j'ai eu envie de voir l'autre versant, plutôt que de parler des produits, parler des gens et m'axer sur leur santé. J’ai donc repris des études pour devenir nutritionniste, naturopathe.
J'ai fait aussi des formations en alimentation du sportif, pour pouvoir être plus spécialisée là-dessus. Et j'ai pu ensuite démarrer mon activité en tant qu’indépendante.
Donc ça c'est le sujet professionnel, côté escalade, comment la grimpe est arrivée dans ta vie ?
Je m'y suis mise il y a quelques années, il y a peut-être 5-6 ans, totalement par hasard. On a un copain qui est moniteur d'escalade et qui un jour nous dit « tiens, si vous voulez, j'emmène vos enfants grimper à la salle pour leur montrer ce que c'est ». On est venus aussi, puis en les regardant, on a voulu essayer.
Ça a pris tout de suite. Deux mois après, on était dans le Verdon pour qu'il nous montre comment on se débrouille en falaises, assurer en tête, les bonnes manipulations, etc. Depuis, chaque vacances, les week-ends, on fait le tour des falaises françaises.
C’est donc ça qui t’a amené à te spécialiser sur les sujets de nutritions pour les grimpeuses et grimpeurs ?
Ça s’est fait plutôt naturellement, mais oui je me suis dirigée vers ce genre de public, parce que je me suis rendu compte aussi qu'il n'y avait pas grand-chose qui existait pour cette pratique sportive qui a des besoins spécifiques.
Et c'était à ces personnes-là que j'avais envie de parler, avec qui j'avais envie de partager. Ça s'est fait un peu comme ça.
Au point de publier le "Guide de l’alimentation du grimpeur" dédié à l’alimentation pour l’escalade ?
En fait quand j'ai commencé à travailler avec mes clients, je me suis aperçue qu'ils ne lisaient pas du tout sur ce sujet. Et je peux les comprendre, les pavés de nutrition de 400 pages en noir et blanc ce n’est pas passionnant pour tous le monde. Moi j'adore ça !
Et en vérité il n’existait pas vraiment de livre adapté à la grimpe, aux contraintes propres à cette pratique.
C’est intéressant de travailler sur les pratiquants de l’escalade parce qu’il y en a beaucoup qui sont sensibles aux sujets de l’alimentation naturelle, bio, locale, de saison, etc. Mais ce sont aussi des gens qui n’ont pas forcément les connaissances liées à la nutrition sportive alors que ça peut vraiment impacter ta performance de manger correctement au quotidien, et de manière adaptée autour des entraînements.
Quand tu vas voir dans le trail ou alors dans la musculation, ces sujets sont souvent mieux maitrisés : glucides, protéines, fenêtre métabolique, etc.
J’ai aussi beaucoup travaillé à ce que ce livre ne soit pas trop long. Entre la première version et celle-ci, il a diminué de taille par 5 ! L'objectif était aussi de réussir à bien le découper pour que chacun puisse piocher dans les chapitres en fonction de ses besoins et envies.
Et donc ce livre, qui est une référence pour les grimpeuses et grimpeurs qui se questionnent sur ce sujet, c'est un énorme projet non ? Ce n'est pas banal de publier en auto-édition, de gérer son impression, sa diffusion, les commandes, etc.
En fait, à la base, ce n'était pas forcément prévu de le publier en auto-édition. Quand j'ai commencé à me renseigner, je me suis rendu compte qu'en fait, quand tu écris un livre et que tu n'es pas connu, tu touches à peine 7% du prix de vente. Et en plus de ça tu n'as pas la main sur le livre : ce n'est pas toi qui choisis les illustrations, le titre, où tu vas le vendre, combien, etc. Donc ça ne répondait pas du tout à ce que je voulais.
Je l'ai donc imprimé le Guide de l’alimentation du grimpeur chez un imprimeur local, a 10 minutes de chez moi. Et je le vends toute seule sur mon site Internet et via différents distributeurs spécialisés. Les photos, c'est fait soit par moi, des amis ou mon frère, les relecteurs sont des personnes que je connais bien, etc. C'est vraiment un ouvrage fait maison.
Au delà de la nutrition, le sujet du poids est un sujet de discussion omniprésent dans notre univers, à tel point que certains sportifs et professionnels de santé tirent la sonnette d'alarme sur les troubles alimentaires dans l'escalade sportive. C’est quelque chose que tu observes aussi au quotidien ?
90% des clients qui me contactent veulent être plus performants et parlent de perdre du poids, alors qu'ils n'en ont pas forcément besoin.
C'est vrai que c’est un sport où le poids a une influence, en tout cas le rapport poids-puissance qui permet de s’élever. Par contre ce n'est pas l'essentiel. Et c'est vrai que c'est vraiment devenu quelque chose de dangereux. On voit beaucoup de sujets liés aux troubles du comportement alimentaire. Priver son corps d'énergie juste pour gagner quelques kilos c’est contre productif, ça revient à ne pas profiter des bénéfices de l’entrainement. Et ça c'est un peu dommage.
C’est une tendance que l’on observait avant surtout chez les athlètes de haut niveau mais aujourd'hui c’est de plus en plus le cas pour ceux qui pratiquent ce sport en tant que loisir.
Il y a cette image du grimpeur baraqué, mais pas trop non plus, fin et léger. Ce qui fait que l’on arrive vraiment à des gros problèmes parce que beaucoup de gens s'alimentent moins pour s'approcher de ce modèle.
Ce que j'explique à mes clients c’est qu’il faut respecter des phases. Dans un moment où tu vas grimper en intensif, te préparer, que ce soit pour une compétition ou un projet, un séjour que tu vas faire, il ne faut vraiment pas restreindre ton corps parce que tu as besoin de carburant pour t'entraîner correctement, pour avoir tes séances de qualité jusqu'à la fin. Mais par contre, au moment où tu es proche d'envoyer ton projet ou alors juste avant la compétition, tu peux de manière temporaire chercher à perdre 2 ou 3 kilos maximum. Mais c’est un travail que tu fais sur 4-6 semaines juste à la fin. Et en général on a d'autres trucs à travailler avant d’avoir besoin d’en arriver là.
Travailler son gainage, la pose du pied, le mental, etc. c’est souvent beaucoup plus bénéfique que de perdre 3 kilos. Et ça, c'est vraiment un sujet sur lequel il faut revenir régulièrement parce que l’on peut arriver à des grosses problématiques de gens qui se blessent, qui récupèrent mal et tout ça au bout d'un moment ça agit aussi sur le mental. Tu n'as plus la motivation, tu n'as plus l'énergie, tu n'as plus envie de grimper, tu laisses tomber.
J’ai l’impression que le sujet de se complémenter avec des protéines, une tendance qui semble normalisée dans d'autres sports, est un peu tabou dans l’escalade. Tu l'abordes mais vraiment très brièvement dans ton livre et plutôt pour dire que c'est mieux d'éviter. On en parle ?
C'est de moins en moins tabou quand même, il y a de plus en plus d’athlètes qui font d'ailleurs ouvertement la promotion de ce genre d'alimentation.
Il y a besoin d'un quota de protéines par jour, l'idéal, c'est de l'avoir avec ton alimentation naturelle. Mais à certains moments, si par exemple, tu es en déplacement, tu n'es pas chez toi, et que ça peut te permettre d'atteindre ton quota de protéines parce que tu ne l'auras pas autrement, ça peut être une solution temporaire.
Je le conseille des fois à des clients qui partent sur plusieurs semaines, ils vont prendre leur camion et rester au pied d'une falaise pour faire leur projet, ou lorsque se ravitailler régulièrement n'est pas possible. Ça représenter un intérêt à ce moment-là.
Ça peut aussi être une option pour des gens qui sont devenus végétariens très récemment et qui n'ont pas forcément encore l'habitude de bien gérer les besoins de leur corps.
Donc ça peut être aussi une aide temporaire. Mais c'est vrai que moi, je promeus plutôt une alimentation naturelle, donc ce n'est pas forcément ce que je vais conseiller en premier.
Tu accompagnes quotidiennement des particuliers, des athlètes. Ça fonctionne comment exactement ? Il y a un schéma type ?
On démarre toujours par se fixer les objectifs. Ça peut être de se préparer pour un projet, une compétition, de gagner en bien- être, d'avoir plus d'énergie pour faire tes séances en entier, de gagner en performance, franchir une cotation, tenir des efforts de longue durée plus longtemps, etc. Ensuite, on travaille ensemble sur 3 mois, c'est un minimum pour commencer à changer ses habitudes.
Tout le monde n'a pas besoin des mêmes choses, et chacun a ses propres contraintes, donc on ne va pas forcément balayer tout, mais vraiment ce que les personnes ont besoin. Ensuite, on cherche à appliquer tout ça en pratique dans la vie de tous le jours. On cherche aussi des circuits d'approvisionnement où aller faire ses courses. On va définir ensemble à quelle fréquence faire le plein, comment je stocke, comment je prépare, les bonnes astuces pour préparer à l'avance selon ton type de vie.
Ça coûte combien pour se faire accompagner ?
Ce que je propose c’est un coaching continu sur trois mois à 285€ par mois. On a des rendez-vous en visio, des rendez-vous par téléphone intermédiaire pour s'assurer que tout est ok. Et je suis joignable par messagerie en illimité, pour avoir les réponses aux questions lorsque l’on s’interroge sur un repas, dans le rayon d’un supermarché, pendant un voyage, au restaurant, etc. On va au-delà de la théorie et on se confronte à la pratique au quotidien.
C'est pour ça que je parle de coaching et pas de consultation parce que l’objectif c'est de rendre les gens vraiment autonomes.
Est-ce que tu as des exemples concrets de succès d'amateurs ou d'athlètes avec qui tu as bossé ?
J'en ai plusieurs ! J'avais un client, son sujet c'était vraiment le cap du 8c. Il n'y arrivait pas, ça ne passait pas. Et pourtant, vraiment, il grimpait 5 à 6 fois par semaine, faisait du renforcement, avait un bon sommeil, faisait attention à ce qu'il mangeait, s'entraînait correctement avec un vrai plan d’entraînement, etc. Sa vie était dédiée vraiment à ça
Avec lui, on a travaillé pendant trois mois à apprendre ce que l'on doit manger. Parce que même si il faisait attention à son alimentation, mangeait sainement, il avait des carences. La problématique c’était que pour le volume d’entrainements qu’il faisait, son corps manquait de plusieurs éléments.
Un mois après, il m'a envoyé un petit message pour me dire qu’il venait de rentrer le 8c qu’il cherchait à faire sur un une voie à côté de chez lui. J’étais aussi contente que lui, même si 8c pour moi c’est un peu loin !
Des clients, un livre, c’est quoi ton prochain projet ?
Cette année, je voudrais bien pouvoir aider les gens avec un programme en ligne qui serait plus accessible que du coaching personnalisé et adapté à chacun.
Une solution pour aider plus de monde dans lequel chacun pour aller piocher dans ce qu’il a besoin, en donnant tout de même un cheminement pratique pour pouvoir changer ce que tu manges au quotidien. Je suis en train de travailler dessus et l’idée c’est aussi de le co-construire avec des grimpeuses et grimpeurs pour être sûr de coller à ce dont ils ont besoin.
Merci Caroline !
Si vous souhaitez suivre Caroline sur Instagram, où elle partage régulièrement ses conseils. Pour se procurer son livre "Guide de l’alimentation du grimpeur" ou la solliciter pour un coaching c'est sur son site que ça se passe.