Joseph Vallot : un savant au sommet du Mont-Blanc et de son époque
Les milliardaires d’aujourd’hui envoient des fusées dans l’espace et se prennent pour des pionniers. Joseph Vallot, lui, montait sur un glacier avec une tente et une idée en tête : prouver que la science pouvait survivre là où les hommes peinaient à respirer. À la fin du XIXᵉ siècle, quand l’altitude relevait encore plus de l’aventure que de la recherche, il choisit le Mont-Blanc comme laboratoire, convaincu que la meilleure façon de comprendre un environnement, c’est d’y vivre.
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Botaniste, géologue, météorologue, physiologiste, glaciologue, Vallot coche toutes les cases du savant touche-à-tout. Curieux jusqu’à l’obsession, pragmatique jusqu’à la démesure, il incarne l’explorateur-scientifique dans toute sa splendeur : un mélange de rigueur et de folie, de méthode et d’audace. Un homme capable d’investir une fortune pour hisser un observatoire à 4 350 m d’altitude et, dans la foulée, d’imaginer un funiculaire pour que les alpinistes puissent monter plus vite. Un cerveau en ébullition, un corps en altitude, et une existence entière dédiée à comprendre un monde qui se dérobe.
Éliane Patriarca, journaliste spécialiste de l’environnement et des sciences de la montagne, exhume la trajectoire fascinante de ce pionnier oublié dans Joseph Vallot, l’histoire méconnue d’un savant alpiniste (Glénat, 2025). Un ouvrage qui tombe à pic, alors que 2025 marque le centenaire de sa mort et que son légendaire observatoire du Mont-Blanc s’apprête à entrer dans une nouvelle ère sous l’impulsion du CREA Mont-Blanc.
Un laboratoire sur le toit de l’Europe
Là où certains voient un décor, Vallot voit un terrain d’expérimentation. En 1887, il monte au sommet du Mont-Blanc et y plante sa tente. Trois nuits à 4 800 mètres, sans abri ni oxygène. Une folie ? Un pari scientifique. Il prouve que l’homme peut non seulement survivre en haute altitude, mais aussi y travailler.
Dès lors, il lui faut un observatoire. Construire à plus de 4 000 mètres à la fin du XIXᵉ siècle, c’est un exploit insensé : chaque poutre, chaque pierre, chaque clou doit être monté à dos d’homme ou de mule. Mais Vallot n’a pas le goût du confort, seulement celui de la recherche. En 1890, le premier laboratoire d’altitude d’Europe voit le jour. Il y mène des recherches pionnières sur l’impact de l’altitude sur le corps humain et sur l’héliothérapie, convaincu que le soleil pourrait bien être un remède sous-estimé.
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Il y passe plus de trente étés, persuadé que la science ne se fait pas derrière un bureau, mais sur le terrain, là où le vent glace les idées toutes faites.
Joseph Vallot n’est pas qu’un scientifique, c’est un bâtisseur. Il comprend avant l’heure que l’alpinisme et la recherche ne peuvent exister sans infrastructures. Il imagine un funiculaire jusqu’à l’aiguille du Midi, pose les bases d’un tourisme scientifique avant même que l’idée n’existe. Explorer, observer, comprendre et transmettre : pour lui, tout se tient.
Un engagement scientifique jusqu’au dernier souffle
Vallot n’est pas seul dans cette obsession. Son père Émile et sa femme Gabrielle soutiennent ses recherches, mais l’altitude, aussi noble soit-elle, use les amours terrestres. Gabrielle finit par le quitter. C’est sa fille, Madeleine, qui prendra le relais, l’accompagnant jusqu’au bout.
Il y laisse sa santé, son argent, et un peu de son temps, mais jamais son feu intérieur. Il travaille jusqu’à son dernier souffle, toujours animé par la même frénésie de savoir qui l’avait mené du Languedoc à Paris, puis de Paris aux glaces du Mont-Blanc.
Éliane Patriarca : une plume engagée au service d’un savant oublié
Si Vallot a disparu des radars, c’est peut-être parce qu’il appartenait à une époque où la science n’était pas encore une marque personnelle. Éliane Patriarca s’empare de son histoire avec un véritable travail d’enquête, un style limpide et une capacité à faire revivre les figures oubliées.
Ancienne journaliste à Libération, où elle a couvert les grandes problématiques environnementales (pollution aux pesticides, catastrophe de l’amiante, réchauffement climatique en montagne), elle est aujourd’hui indépendante. Son CV littéraire reflète une fascination constante pour la montagne et l’exploration, qu’il s’agisse de ses paysages, de ses mutations écologiques ou des figures qui l’ont traversée.
Menace sur Saint-Gervais (Catapac Éditions, 2010)
Participation à Mythologies alpines (JMÉditions, 2012)
Coordination de Du souffle dans les mots : 30 écrivains s’engagent pour le climat (Arthaud, 2015)
Co-rédaction de L’Atlas de botanique poétique avec Francis Hallé (Arthaud, 2016)
Avec Joseph Vallot, l’histoire méconnue d’un savant alpiniste, elle tisse un récit à la fois rigoureux et captivant, où la montagne devient un laboratoire, et où la quête de savoir se vit comme une expédition.
L’Observatoire Vallot, un héritage toujours vivant
Si son nom évoque aujourd’hui un refuge en altitude connu de tous les alpinistes, l’Observatoire Vallot reste avant tout le symbole d’un engagement indéfectible envers la science et l’exploration de montagne.
En septembre 2024, la première pierre d’un projet ambitieux a été posée à Chamonix : transformer l’Observatoire en un tiers-lieu de l’écologie alpine. Le CREA Mont-Blanc, héritier de l’esprit visionnaire de Vallot, y mène des recherches sur l’évolution de la biodiversité et du climat en haute altitude.
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Un nouveau laboratoire de 90 m², écoconçu, verra bientôt le jour. Le chalet Vallot sera rénové, un jardin scientifique aménagé, et l’observatoire deviendra un lieu où chercheurs, alpinistes et citoyens pourront échanger sur les mutations du climat.
Le projet est financé à hauteur de 1,2 million d’euros, avec le soutien du Conseil départemental de la Haute-Savoie, de la Fondation du Patrimoine (via la mission Patrimoine en Péril de Stéphane Bern), de la Fondation de France et de mécènes privés.
Un savant d’hier pour les enjeux d’aujourd’hui
Pourquoi s’intéresser à Joseph Vallot aujourd’hui ? Parce que son travail sur les glaciers et le climat est d’une actualité brûlante. À l’heure où les neiges éternelles du Mont-Blanc fondent plus vite que les illusions d’un monde durable, son obsession pour la compréhension des phénomènes naturels résonne avec une urgence nouvelle.
Joseph Vallot, l’histoire méconnue d’un savant alpiniste est un livre d’histoire, mais c'est surtout une plongée dans une époque où la science exigeait du terrain, du temps et du courage.