Jirishanca : une montagne qui fond, des légendes qui résistent
Josh Wharton n’a pas d’Instagram. Ni de Facebook. Pas de TikTok non plus – même s’il en a vaguement entendu parler. À 39 ans, ce grimpeur originaire du New Hampshire préfère les sommets silencieux aux projecteurs. Sa vie ressemble à celle d’un personnage à contre-courant, presque caricatural : un alpiniste « old school », stoïque, sans hyperboles ni fioritures. « Je grimpe parce que j’aime ça. » Point.
Pourtant, en 2023, Wharton a signé l’une des ascensions les plus marquantes de sa carrière, et pas sur n’importe quel sommet. Avec Vince Anderson, autre légende vivante du monde vertical, il s’est attaqué au Jirishanca. Perché à 6 094 mètres dans la cordillère Huayhuash, au Pérou, ce géant s’est transformé en piège à rêves. Parce que l’altitude ne suffit pas : ici, tout se joue dans des murs calcaires précaires, des champignons de neige instables, et des surplombs de glace qui défient la gravité. Un endroit où, depuis vingt ans, personne n’a atteint le sommet. Pas un seul.
Une montagne en train de mourir
« Le Jirishanca, c’est tout ce qu’un grimpeur recherche et redoute à la fois, » confie Wharton dans Jirishanca, le documentaire produit par Patagonia. « Ça n’a rien d’un terrain de jeu, rien de rassurant. Et aujourd’hui, c’est encore pire. La montagne fond, littéralement. »
Depuis sa première tentative en 2015, Josh a vu les glaciers reculer comme si quelqu’un avait pressé le bouton avance rapide. « Quand je suis revenu en 2019, le glacier avait reculé de plusieurs centaines de mètres. Et cette année, je dirais qu’il n’y avait presque plus rien. » Le constat est implacable. « Dans vingt ans, le glacier aura disparu. Ce sera une autre montagne. Enfin, si on peut encore appeler ça une montagne. »
« En 2005, je grimpais des montagnes qui étaient couvertes de glace. Aujourd’hui, on grimpe sur de la roche effritée. Le changement climatique, c’est un bulldozer. »
Pour Vince Anderson, 53 ans et Piolet d’Or en poche, ce spectacle est encore plus brutal. « En 2005, je grimpais des montagnes qui étaient couvertes de glace. Aujourd’hui, on grimpe sur de la roche effritée. Le changement climatique, c’est un bulldozer. Et on est là, coincés entre l’envie de gravir et le dégoût de ce qu’on voit. »
Quand le risque change de visage
Wharton n’est pas seulement un alpiniste chevronné. Il est père de famille. Sa fille, Hera, a neuf ans, et elle adore son père. Lui, il adore grimper. Et parfois, ces deux réalités se télescopent. « Être parent, ça change tout. Avant, je prenais des risques inconsidérés. Maintenant, je réfléchis plus. Enfin… un peu plus, » plaisante-t-il. Mais derrière la boutade, il y a un homme lucide. En 2019, Wharton et Anderson étaient à quelques encablures du sommet. « On était à bout de forces. Pas d’eau, pas de bivouac. À un moment, j’ai regardé Vince et je lui ai dit : ‘Je crois qu’on devrait rentrer pour voir nos familles.’ Et il a acquiescé. »
« Le risque, c’est comme une banque. Tu ne peux pas te permettre de tout retirer en une fois. »
Ces choix, Anderson les comprend mieux que quiconque. Père de trois garçons, il sait que chaque ascension est un retrait sur le compte fragile de la vie. « Le risque, c’est comme une banque. Tu ne peux pas te permettre de tout retirer en une fois. Surtout quand tu as des gosses. Mais tu ne veux pas non plus vivre en fermant ce compte. »
Pour Wharton, cette philosophie ne l’empêche pas de grimper, mais elle l’incite à choisir ses défis avec soin. « Chaque fois que je retourne au Jirishanca, je sais que je mets beaucoup sur la table. Mais si je dois prendre des risques, je veux que ce soit pour quelque chose de beau, de grand. »
Le duo improbable
Il y a quelque chose d’un peu ironique dans le partenariat entre Wharton et Anderson. Josh est réservé, presque timide. Vince, lui, c’est un mélange de métal et de vinyles poussiéreux. « Je suis un mec nostalgique, » plaisante Anderson. « J’adore les vinyles, les t-shirts de groupes improbables, et je pense que j’aurais dû être le frontman d’un groupe de rock. Mais au lieu de ça, je suis guide de montagne. »
Cette dynamique fonctionne pourtant à merveille. « Vince est mon yin, » dit Wharton. « Il est tellement cool et posé. En montagne, c’est l’équipier rêvé. Il sait quoi faire, il anticipe tout, et il ne panique jamais. » Ce respect mutuel est la clé de leur succès. Et en 2023, ce respect les a menés là où personne n’était allé depuis deux décennies.
Une ascension brutale
Le documentaire de Patagonia ne fait pas dans la poésie. Il montre des grimpeurs épuisés, transis de froid, mais obstinés. « On a eu une fenêtre météo après plusieurs jours d’attente. On savait que c’était notre seule chance, » raconte Wharton. L’ascension commence par une succession de murs calcaires vertigineux. « De la grimpe pure, technique. Chaque mouvement est un test. »
« Ces surplombs, c’est le point d’orgue du Jirishanca. C’est beau, mais tellement difficile. À chaque coup de piolet, tu ne sais pas si ça va tenir. »
Puis viennent les surplombs de glace, des structures improbables, défiant les lois de la gravité. « Ces surplombs, c’est le point d’orgue du Jirishanca. C’est beau, mais tellement difficile. À chaque coup de piolet, tu ne sais pas si ça va tenir. » Et enfin, la dernière étape : une crête sommitale qui ressemble à une succession de champignons de neige instables. « Imaginez essayer de grimper dans du sable mouillé. Chaque pas est un effort monumental. »
Le 22 août 2023, après trois jours d’efforts, Wharton et Anderson atteignent enfin le sommet. « C’était irréel, » se souvient Vince. « Aider Josh à réussir, c’était aussi fort pour moi que d’atteindre le sommet. »
Pour Wharton, cette ascension es une manière de mettre en lumière les ravages du changement climatique. « Je ne grimpe pas pour être célèbre, » dit-il. « Mais si mon expérience peut montrer à quel point ces montagnes disparaissent, alors ça en vaut la peine. »