Chute libre : l’assureur regardait ailleurs
L’escalade repose sur une règle tacite. Tu grimpes, quelqu’un veille. C’est la base. Celle qui permet d’oser, d’engager, de tomber sans se poser de questions. L’assureur, ce n’est pas un figurant. Il n’est pas là pour meubler l’espace au pied du mur. Il est la dernière ligne de défense, celui qui empêche l’inévitable de se produire. Quand il faillit, ce n’est pas un incident. C’est une rupture de confiance, un abandon en plein vol.
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Ce jour-là, Sara AlQunaibet a lâché prise, comme des milliers de grimpeurs avant elle. Mais contrairement aux autres, elle n’a pas senti la corde se tendre. Elle n’a rien senti du tout, sinon l’accélération brutale du vide. Treize mètres plus bas, c’est le sol qui l’a arrêtée. Le choc a brisé son dos, pulvérisé ses pieds, mis un terme à sa saison avant même qu’elle ne commence. Elle devait enchaîner avec un stage au Pôle France de Voiron, un passage clé dans sa préparation. Elle n’y mettra jamais les pieds.
Selon la grimpeuse saoudienne, l’accident a eu lieu en France, comme elle l’indique sur son post Instagram. Mais depuis, une autre hypothèse émerge. En interne, la FFME s’interroge : et si c’était en Suisse ? Un doute renforcé par une photo qu’elle avait postée quelques mois plus tôt, géolocalisée dans un hôpital de Genève, et le t-shirt Grimper.ch que l'on aperçoit sur la vidéo. Impossible d’avoir une confirmation directe de l’athlète, qui, depuis sa publication, semble submergée de sollicitations. Trois millions de vues en 24 heures, plus de 2000 commentaires. L’affaire a pris une ampleur qui dépasse largement le milieu de l’escalade.
Un assureur distrait, une faute qui ne devrait pas exister
Il y a des erreurs qui arrivent malgré tout. Une prise qui tourne, un mousqueton mal clippé, une corde qui frotte là où elle ne devrait pas. Et puis il y a celles qui ne devraient jamais exister.
Sur la vidéo de l’accident, il n’y a aucun doute, aucun flou. L’assureur ne regarde même pas. Il parle, il rit, il est absorbé par une conversation qui n’a rien à voir avec ce qu’il est censé faire. La corde est dans ses mains, mais elle n’existe pas. Ce n’est plus une responsabilité, juste une présence accessoire.
Et quand Sara tombe, rien ne se passe. Pas un sursaut, pas une tension dans la corde, pas ce réflexe instinctif qui fait qu’un assureur bondit même quand il est surpris. Parce qu’il n’a pas été surpris. Il n’a simplement pas vu la chute arriver.
Alain Carrière, après avoir visionné la vidéo, n’a pas mis longtemps à poser un constat aussi limpide qu’accablant :
"Il est évident au regard de la vidéo que l’assureur est responsable de la chute au sol. Ce qui est rare, mais est une cause d’accident en salle d’escalade."
Rare, oui. Mais pas inédit. Et surtout, évitable. Totalement évitable.
Et après ? Plus personne
Un accident pareil aurait dû provoquer une réaction immédiate. Une reconnaissance de l’erreur, une prise en charge sans condition, un encadrement sans faille. Mais après la chute, c’est un autre vide qui s’est installé. Pas d’excuses. Pas de responsabilité assumée. Rien.
Trois mois sans poser le pied par terre. Une rééducation interminable. Des semaines à devoir batailler pour obtenir des soins, à se heurter à une administration plus lente que la guérison de ses os. Et au bout, personne pour dire "c’est notre faute". Juste une ligne de défense usée jusqu’à la corde : "c’est un risque du sport". Comme si l’inattention était une fatalité.
Le débat s’égare, la réalité reste immobile
Pendant que Sara tente de reconstruire son corps, d’autres s’emploient à déconstruire la réalité. Le matériel, voilà le nouveau coupable. Sur les réseaux sociaux, on dissèque le frein utilisé, on spécule sur la faille d'un modèle, on imagine des scénarios où la technologie aurait pu rattraper ce que l’humain a laissé filer.
Mais il n’y a rien à disséquer. Rien à interroger. La corde n’a pas lâché. L’appareil d’assurage n’a pas failli. C’est un assureur qui n’a pas assuré.
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La FFME hors de cause, mais un débat qui doit avoir lieu
Soyons clairs : la FFME n’a rien à voir avec cet accident. Le stage ne relevait pas de son autorité, elle n’a rien encadré, rien organisé. Elle a découvert l’affaire après tout le monde. La fédé n’a rien à se reprocher, mais le sport, lui, devrait s’interroger.
Les erreurs d’assurage ne devraient plus exister. Pas en 2024. Pas en salle. Pas avec un grimpeur suspendu à treize mètres du sol. On répète à longueur de formations que l’assurage est un engagement total, une vigilance de chaque instant. On se répète que c’est une responsabilité, que tenir une corde, c’est tenir une vie.
Mais les principes ne tiennent qu’à un fil quand l’attention se relâche. Une conversation de trop, une corde qui file, et une grimpeuse qui ne grimpe plus.