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Le Népal verrouille l’Everest : fini l’alpinisme pour tous ?

L’Everest a fini par se lasser des touristes du dimanche. À force de laisser monter tout et n’importe qui vers son sommet, la montagne mythique menaçait de devenir le symbole du consumérisme en gore-tex. Le Népal vient de taper du poing sur la table et annonce une révolution alpine : dès 2026, seuls les alpinistes capables de prouver une ascension réussie à plus de 7 000 mètres (et pas n’importe où, au Népal uniquement) auront le droit d’aller tutoyer son sommet. En clair : pour grimper l’Everest, il faudra désormais montrer autre chose que sa carte bancaire ou son égo surdimensionné.


Everest

Victime de son succès : l’Everest façon Disneyland


Si Sir Edmund Hillary revenait faire un tour sur les flancs de l’Everest, pas sûr qu’il apprécierait le paysage. Ces dernières années, l’image désolante de centaines d’aspirants alpinistes faisant sagement la queue à plus de 8 000 mètres d’altitude a fait le tour du globe. Des files d’attente dignes d’un parc d’attractions, mais avec moins d’oxygène et plus de morts.


En mai 2023, le désastre atteignait son paroxysme : 900 alpinistes coincés dans la tristement célèbre « zone de la mort », provoquant indirectement la disparition de 17 personnes en quelques jours. Mourir en montagne, passe encore. Mais mourir d’avoir trop attendu son tour pour atteindre le sommet relève d’un ridicule cruel et morbide.


Et que dire des tonnes de déchets jonchant les pentes glacées ? Les sommets de la chaîne himalayenne se sont progressivement transformés en une gigantesque déchetterie d’altitude, où bouteilles d’oxygène et tentes éventrées côtoient les excréments gelés des aventuriers pressés de redescendre.


Nouvelle loi au Népal : le filtrage par l’expérience


Face à ces images qui salissent autant la montagne que la réputation du pays, le Népal propose donc un projet de loi radical, déposé au Parlement en avril 2025 : aucun permis d’ascension de l’Everest ne sera désormais délivré sans la preuve d’une expérience préalable sur un sommet népalais de plus de 7 000 mètres. En résumé : finis les grimpeurs débutants venus jouer les héros sur le toit du monde. Avant de s’attaquer à l’Everest, il faudra désormais commencer par des montagnes moins instagrammables, histoire de faire ses classes sans prendre toute la chaîne himalayenne à témoin de son éventuel échec.


Cette mesure n’est pas une lubie soudaine : déjà en 1996, le Népal avait tenté une règle similaire (à 6 000 mètres), vite abandonnée sous pression économique. Mais cette fois, le gouvernement semble décidé à tenir bon, convaincu que le jeu en vaut la chandelle.


Guides exclusivement népalais : patriotisme ou verrouillage économique ?


Autre aspect crucial du texte, moins consensuel : chaque expédition devra obligatoirement employer un guide principal népalais certifié, excluant ainsi les guides étrangers. La mesure ne plaît évidemment pas à tout le monde, notamment à Lukas Furtenbach, guide autrichien reconnu, pour qui l’important est la qualification IFMGA (certification internationale des guides), « peu importe le passeport ».


Mais derrière la rhétorique sécuritaire, c’est bien une question économique qui transparaît : le Népal veut garder la main sur les bénéfices générés par les ascensions. Autant dire que derrière le débat sur la nationalité des guides, il y a aussi un discret mais puissant bras de fer économique entre agences locales et opérateurs internationaux.


Everest

Une caution environnementale désormais obligatoire


Sur l’aspect écologique, le projet népalais ne fait pas non plus dans la demi-mesure : exit la caution récupérable après avoir descendu quelques kilos de déchets ; bonjour la redevance environnementale obligatoire, non remboursable. Autrement dit, impossible désormais d’échapper à sa contribution au nettoyage des camps d’altitude. Cette mesure, sévère mais logique, sera directement intégrée au prix déjà exorbitant des permis d’ascension, assurant au moins une réelle prise en charge du nettoyage des lieux sacrés.


Quant à la santé des alpinistes, là aussi, on arrête les frais : un certificat médical récent (moins d’un mois) devient obligatoire pour obtenir le précieux sésame vers le sommet. L’idée ? Limiter les sauvetages dramatiques qui coûtent cher et mettent en danger les équipes de secours en altitude.


Un pari économique à haut risque


Bien sûr, ce durcissement des règles inquiète les acteurs économiques locaux qui redoutent une chute du nombre de permis délivrés. Moins d’alpinistes, c’est potentiellement moins d’argent dans les caisses. Mais le Népal n’a pas froid aux yeux : dès septembre 2025, le prix du permis augmentera de 36 %, passant de 11 000 à 15 000 dollars par grimpeur. Avec cette hausse, le gouvernement fait le pari que les prétendants à l’Everest seront moins nombreux mais mieux préparés, plus solvables, et donc potentiellement tout aussi lucratifs. L’objectif est clair : moins de monde mais plus de valeur, en espérant éviter une catastrophe économique.


Entre Chine et Pakistan : le Népal tente une troisième voie


Cette nouvelle réglementation place le Népal dans une position intermédiaire intéressante. En Chine, le versant tibétain de l’Everest est déjà strictement réservé aux grimpeurs ayant fait leurs preuves sur un autre 8 000 mètres. Au Pakistan, c’est l’opposé : n’importe qui, sans critère préalable, peut tenter le K2 ou le Nanga Parbat, pourvu qu’il en assume les risques. En Europe enfin, sur le Mont Blanc notamment, pas de restriction stricte mais des tentatives locales de régulation (réservation obligatoire de refuges, cautions exigées, etc.).


Le Népal invente ainsi un modèle hybride inédit, naviguant entre ouverture économique et régulation sécuritaire et écologique. La question qui demeure : ce modèle séduira-t-il assez les alpinistes pour être viable sur le long terme ?


Révolution ou dénaturation ?


Ce virage législatif interroge profondément l’essence même de l’alpinisme : doit-on réguler un rêve ? À force d’encadrer, l’Everest ne risque-t-il pas de perdre ce qui faisait précisément sa force : être une montagne d’exception, à conquérir avec liberté et responsabilité individuelle ? La ligne entre protection nécessaire et aseptisation excessive est ténue. Mais à voir les dérives récentes, difficile de nier l’urgence d’une remise en ordre.


En résumé, le Népal vient de répondre très clairement à une question existentielle : non, l’Everest ne peut plus être une simple attraction pour touristes fortunés. L’Everest, c’est autre chose qu’une destination sur une bucket-list. C’est une expérience, une conquête, une aventure qui se mérite. Il fallait bien que quelqu’un remette l’église au milieu de la montagne. C’est désormais chose faite. À ceux qui veulent atteindre le sommet du monde, il reste une seule option : le faire pour les bonnes raisons.


Et pour le reste, comme dirait l’autre, les neiges éternelles jugeront.

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