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Escalade et intégration : une voie sans nation

Photo du rédacteur: Adrien BatailleAdrien Bataille

En 2022, Les Nageuses inondait les écrans de larmes. Deux sœurs syriennes, une traversée à la nage, et une qualification olympique à la clé. Une histoire plus grande que le sport. Depuis, le CIO a pérennisé l’idée : l’équipe olympique des réfugiés est devenue un symbole, une respiration au milieu du cynisme mondialisé.


Afraa Mohammad
Afraa Mohammad © Le Cinoche

Et l’escalade, dans tout ça ? Pour l’instant, rien. Pas une corde. Pas un nom. Mais ça pourrait changer. Pour la première fois, une grimpeuse sans nation pourrait rejoindre l’équipe des réfugiés aux JO de Los Angeles 2028. Son nom : Afraa Mohammad. À Paris, dans le cadre du Salon de l’Escalade, Vertige Media animait un programme dense de conférences sur deux jours. Parmi elles, une heure forte : celle qui réunissait trois voix engagées autour de la table. Afraa donc, première athlète réfugiée officiellement soutenue par l’IFSC. Paola Gigliotti, membre honoraire de l’IFSC et engagée de longue date sur les questions humanitaires. Et Alain Carrière, président de la FFME.


Objectif : parler sport. Mais surtout parler système. Et comprendre comment une grimpeuse apatride a décidé de ne pas rester au sol.


« Je voulais juste grimper. Pas devenir un symbole. »


Afraa ne s’est pas réveillée un matin avec l’envie de représenter les réfugiés du monde entier. Elle voulait juste respirer. Après un parcours à rallonge, une vie en exil, et quelques années de reconstruction, l’escalade est arrivée par hasard.


« Une amie m’a offert dix entrées dans une salle. C’était après le covid. J’y suis allée, et j’ai accroché direct. »

Mais pour comprendre son histoire, il faut repartir de loin. Née en Syrie, d’origine palestinienne, elle croit d’abord avoir la double nationalité. Jusqu’au jour où elle découvre, à 12 ans, qu’elle est officiellement « réfugiée permanente ». Traduction : tu peux être née ici, tu ne représenteras jamais ce pays. Et quand on fait de la gym à haut niveau, ça coupe net. Fin des entraînements. Fin du rêve olympique.


Elle s’accroche. S’engage dans la révolution syrienne. Obtient une bourse d’excellence. Arrive à Paris. Et c’est là que l’escalade la raccroche à quelque chose. Pas une ambition. Une survie.


Paola Gigliotti
Paola Gigliotti © Le Cinoche

Une grimpeuse hors cadre


C’est Paola Gigliotti qui capte l’histoire. Une figure respectée, un brin rebelle, toujours là où on ne l’attend pas. Elle appelle le président de l’IFSC.


« J’ai trouvé une grimpeuse réfugiée à Paris. Elle grimpe bien. Et elle a une histoire. »

L’IFSC écoute. Et débloque une enveloppe symbolique : 1500 € pour un an. À Paris, ça couvre quoi ? Coach, matos, entraînements, compétitions ? À peine. Heureusement, Paola complète avec ses propres moyens.


« Je ne suis pas riche. Mais j’ai donné ce que je pouvais. Parce que ce projet, ce n’est pas qu’une histoire de sport. C’est un enjeu humanitaire. »

Pendant ce temps, Afraa s’accroche. Et grimpe. Tous les jours. Avant et après son job d’architecte.


« Je m’entraîne de 6h à 9h. Puis je bosse. Puis je m’entraîne à nouveau le soir. »

C’est pas une vie d’athlète pro. C’est une double journée sans pause, sans sponsor, sans filet.


Matthieu Amaré et Afraa Mohammad
Matthieu Amaré et Afraa Mohammad © Le Cinoche

Un projet plus grand qu’elle


Elle le dit sans détour : elle grimpe pour elle, oui. Mais aussi pour celles et ceux qui viendront après.


« Aujourd’hui, à 25 ans, je suis consciente que ce n’est pas l’âge pour construire une carrière professionnelle. Mais ce que je veux, c’est que cette question soit posée aujourd’hui, pour que la vraie athlète, qui a 8 ou 9 ans mais qui est aussi réfugiée, puisse venir et décrocher une médaille dans deux ou trois JO. »

C’est là que l’histoire prend de l’ampleur. Avec le centre Primo Levi, Afraa monte un projet pour initier à l’escalade des réfugiés victimes de torture. Pas pour les faire performer. Pour leur offrir un moment de paix. Un ancrage. Un souffle. Elle devient, malgré elle, un modèle. Elle déteste ce mot. Mais il colle à ses semelles.


« Si tu sponsorises un athlète réfugié, tu sponsorises une cause. »


Le sport est-il politique ? La réponse est dans la question. Quand on naît apatride, qu’on s’entraîne à l’aube avant d’enchaîner huit heures de boulot, puis qu’on remet ça le soir, enfiler une paire de chaussons d'escalade devient plus qu’un geste sportif. C’est une manière de dire : je suis là.


Afraa n’a pas encore sa place pour les JO. La bourse olympique complète — 1500 € par mois pendant deux ans — n’a pas encore été validée. La sélection officielle, elle, n’a même pas encore de critères. L’IFSC avance à petits pas. La FFME, de son côté, fait ce qu’elle peut, avec les moyens du bord.


Mais l’essentiel est là : le projet existe, il a un nom, un visage, une histoire. Et il oblige chacun à se positionner. Parce qu’on ne peut pas militer pour l’universalité du sport... sans se demander qui a réellement les moyens d’y accéder.


Alain Carriere FFME et Paola Gigliotti IFSC
Paola Gigliotti et Alain Carriere FFME © Le Cinoche

Changer la narration


À ceux qui se demandent pourquoi l’escalade reste un sport si peu accessible, Afraa répond sans détour. C’est une discipline chère. Fermée. Pas conçue pour les trajectoires comme la sienne. Alors elle pousse les murs. Elle crée des ponts. Et elle rappelle une évidence :la performance ne se mesure pas qu’en cotation.


« Je n’ai pas vu mes parents depuis huit ans. Je suis seule en France. Et je sais que je ne suis pas une athlète élite. Mais j’avance, pour que d’autres puissent aller plus loin. »

Elle avance pour elle. Mais aussi pour d’autres. Ceux qui n’ont pas de papiers, pas de coach, pas de club. Ceux qu’on ne voit jamais sur les podiums. Et qui, un jour, grimperont peut-être grâce à elle.


Vous avez manqué la conférence ? Pas de panique.


📽️ Vidéo de la conférence :



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