Dopage en escalade : quand la passion vire au scandale
Le 19 avril 2024, l’IFSC a annoncé la suspension d’un grimpeur suite à un contrôle antidopage positif. Les médias spécialisés ont rapidement relayé l’information, et le sujet du dopage dans l’escalade a pris de l’ampleur. Des professionnels et des personnalités reconnues dans le milieu ont pris la parole, mais au lieu de clarifier la situation, ces interventions n’ont fait qu’accroître la confusion.
En écoutant les discussions sur les tapis de bloc ou au pied des falaises, on entend des opinions diverses telles que : « C’était inévitable avec les Jeux Olympiques » ; « Mais untel prend de la créatine, il est dopé ? » ; « Fumer un pétard, ce n’est pas du dopage » ; « Il n’y a pas d’argent en escalade, pourquoi se doper ? ».
Pour y voir plus clair et se forger une opinion, il est nécessaire de clarifier certaines notions.
Qu’est-ce que le dopage ?
L’Agence mondiale antidopage (AMA) définit notamment le dopage comme « l’usage par un sportif d’une substance interdite ou d’une méthode interdite ». En d’autres termes, si la substance ou la méthode n’est pas interdite, il ne s’agit pas de dopage.
Il existe trois listes de substances et méthodes interdites : une pour celles qui sont interdites en permanence, une pour les compétitions, ainsi qu’une troisième concernant certains sports. Par exemple, les agents anabolisants comme le stanozolol, utilisé par le grimpeur iranien suspendu, sont interdits en permanence. Ces substances ont notamment pour effet d’accroître la réponse métabolique, en vue d’augmenter la masse musculaire. D’autres produits, comme les stimulants tels que la cocaïne, sont interdits uniquement en compétition. Enfin, dans certains sports comme le golf, l’apnée ou le ski et snowboard freestyle, les bêtabloquants sont interdits.
Cela nous amène alors à la question du concept de conduite dopante, qui est définie comme « la consommation de substances pour affronter une situation (…) dans un but de performance ». Concrètement, le dopage est une forme particulière de conduite dopante qui concerne uniquement les sportifs compétiteurs. Le danger des conduites dopantes est qu’elles peuvent mener au dopage ou à l’utilisation de produits ou méthodes dangereux pour la santé.
Prendre des compléments alimentaires comme du collagène ou de la vitamine C n’est pas du dopage tant que leurs ingrédients ne sont pas interdits. Le défi est, d’une part, de trouver des compléments à la composition fiable et, d’autre part, de ne pas glisser progressivement vers des comportements dangereux pour la santé. Car ne l’oublions pas, l’objectif premier de la lutte contre le dopage est la préservation de la santé des sportifs avant celle de l’équité.
Le cas de ce grimpeur iranien est-il isolé ?
Il semble s’agir d’un cas isolé, mais il est difficile d’être catégorique. Ce n’est pas la première fois que l’escalade est confrontée à des cas avérés de dopage. Voici trois exemples emblématiques. En 2001, Chris Sharma enchaîne Biographie, le premier 9a+. Quelques jours plus tard, il participe à la Coupe du Monde de bloc à Munich où il sera contrôlé positif au cannabis et donc disqualifié. En 2007, Edu Marin est contrôlé positif à la cocaïne à la Coupe du Monde de Zurich et suspendu deux ans. Enfin, la mésaventure de Marine Thevenet qui, en 2009, se retrouve aux urgences après avoir bu dans une bouteille qui n’était pas la sienne et qui contenait de la cocaïne.
Qu’est-ce que cela a changé en escalade ?
Pour cette période, peu de choses ont changé. Concernant le cas de Chris Sharma, l’image cool de la consommation de cannabis et la popularité du grimpeur ont fait en sorte que dans la communauté de l’escalade, nombre de personnes étaient même en désaccord avec la sanction. Pour Edu Marin, les conséquences ont été plus sévères, notamment en termes d’image et de suspension. Mais après une période de « pénitence », il est revenu aux affaires, notamment sur les falaises et grandes voies. Enfin, pour Marine Thevenet, sa mésaventure ne l’a pas dégoûtée de l’activité car elle continue aujourd’hui à prendre du plaisir et à performer en bloc extérieur. Suite à cet incident, la FFME a peu communiqué sur la prise en compte de ce phénomène.
Et aujourd’hui, qu’est-ce qui est fait dans la lutte antidopage ?
La FFME, en tant que fédération délégataire, doit respecter le code du sport. Elle est ainsi, depuis 2021, dans l’obligation de participer à la politique de lutte antidopage en lien avec l’IFSC et l’Agence Française de Lutte contre le Dopage (AFLD). Cela consiste notamment en la réalisation d’actions de prévention et d’éducation, de coopération en matière de lutte contre le dopage, de vigilance dans l’application des sanctions disciplinaires ou encore la formation d’escortes antidopage pour les contrôles. En 2023, l’escalade sportive a comptabilisé 37 prélèvements, soit 0,31 % de l’ensemble des prélèvements en France, et aucun n’était anormal.
Pourquoi se doper en escalade, alors qu’il n’y a pas d’argent ?
Les raisons sont variées. Une fois que l’on écarte les cas de dopage « naïf », qui sont liés à une méconnaissance des produits interdits ou de la composition du produit, le dopage s’explique principalement par la recherche d’amélioration de la performance et par tout ce que cela implique sur le plan psychologique et social.
Cela touche à la reconnaissance par les pairs, à l’estime de soi et à l’amélioration de son apparence. Concrètement, il s’agit d’être identifié ou reconnu comme un grimpeur fort, d’être le champion de sa salle ou de sa falaise. Il est aussi question de parvenir à dépasser ses peurs, d’être capable de prendre des risques, autrement dit d’être en mesure d’engager au-dessus du point ou du coinceur.
L’escalade n’est donc pas épargnée. Adam Ondra a raison de dire que l’escalade est un sport qui exige beaucoup de technique, mais cela ne protège pas l’activité de cette dérive. L’aspect lucratif n’est pas la motivation première pour se doper ou adopter un comportement dopant.
En conclusion, ne soyons pas naïfs. L’escalade, désormais sport olympique, n’est pas plus vertueuse que les autres disciplines. Toutefois, elle se distingue par le fait que la compétition ou la performance ne sont pas ses seules finalités.