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Deepfreeze : l’hiver, la Walker, et trois alpinistes givrés

1986 : Patrick Gabarrou et Hervé Bouvard tracent une ligne audacieuse dans le granit abrupt des Grandes Jorasses. La Directissime de la Walker devient une voie mythique, un trophée pour ceux qui aiment souffrir avec panache. 2023 : Charles Dubouloz, Symon Welfringer et Clovis Paulin débarquent avec une idée un peu folle. Et si on la refaisait… mais en plein hiver ? Parce que grimper en t-shirt, c’est surfait, et que les parois glacées, ça muscle les convictions.


Deepfreeze

Cinq jours suspendus dans le froid, à jouer les funambules sur des fissures gelées, armés d’un mélange de courage, d’humilité et, avouons-le, d’un ego bien huilé. Mais c’est ce qu’il faut pour affronter une montagne qui ne pardonne rien. Leur aventure, capturée dans le film Deepfreeze de Yannick Boissenot, a fait le tour des festivals et vient tout juste de devenir accessible gratuitement en ligne. Une plongée fascinante dans le vide… et dans la tête de trois gars qui en redemandent.


Le froid, cet entraîneur personnel sadique


L’alpinisme hivernal, ce n’est pas pour les touristes en mal de selfies. C’est pour ceux qui aiment quand ça pique, littéralement. À -20 °C, même enfiler ses chaussons devient un combat. Le froid s’immisce partout, transformant les corps en glaçons ambulants. Chaque geste, chaque longueur, devient une négociation où l’on mise gros : son énergie, sa lucidité, parfois son intégrité mentale.


Charles, Symon et Clovis ont choisi de jouer à fond la carte du minimalisme. Crampons, piolets ? Oui, mais le strict minimum. Grimpe libre ? Toujours que possible, même si ça veut dire se frotter au granit avec des doigts gelés. Le résultat, c’est une escalade aussi pure qu’impitoyable. Pas de pitié pour les mains, pas d’échappatoire pour l’esprit.


Et pourtant, entre deux bourrasques, l’équipe trouve le moyen de rire. Parce que dans ces conditions, l’humour, c’est comme une dernière couche thermique : ça ne règle rien, mais ça réchauffe un peu.


Dialogue avec l’héritage de Gabarrou


Reprendre la Walker, c’est marcher dans les pas de Patrick Gabarrou et Hervé Bouvard, dont l’exploit de 1986 a marqué l’histoire de l’alpinisme. À l’époque, leur ouverture relevait d’une audace brute, entre esprit pionnier et bricolage inspiré. Leurs pitons, plantés à la main, témoignent encore de leur passage, figés dans le granit.


Mais aujourd’hui, la montagne a changé. L’hiver l’a durcie, les fissures se sont scellées sous la glace, et ce qui semblait logique sous le soleil de l’été devient absurde dans les ombres glacées de l’hiver.


Pour le trio, reprendre cette voie n’est pas une répétition, mais une réinterprétation. L’idée n’est pas de refaire ce qui a été fait, mais de le transcender. Pourtant, face à une paroi gelée, il n’y a pas de négociation. La montagne impose ses règles, et le jeu consiste à improviser sans jamais perdre pied.


La paroi comme théâtre, le film comme miroir


Yannick Boissenot ne filme pas une simple ascension : il dissèque un combat. Son objectif s’attarde sur les détails que le froid voudrait effacer — une main qui hésite, un crampon qui cherche sa place, des regards échangés sans un mot. Ici, tout est brut, sans maquillage, comme si le froid avait gelé toute tentative de mise en scène.


Symon avance avec la précision d’un chirurgien, ses gestes aussi millimétrés que le grain de la roche. Clovis, le rookie de l’équipe, oscille entre la peur et une énergie presque insolente, comme un funambule qui aurait le vertige. Et Charles, lui, semble habiter la paroi. Ce chaos glacé, c’est sa zone de confort, ou du moins ce qui s’en rapproche. Il bivouaquerait sans doute une nuit de plus, juste pour le plaisir d’y être.


Le film, lui, ne cherche pas à vous tenir la main. Pas de grands discours, pas de mise en scène exagérée. Juste l’essence de l’alpinisme : l’effort lent, les doutes qui rongent, et ces moments où le sublime tutoie l’absurde. Une invitation à ressentir, plutôt qu’à comprendre.


Un film, une leçon, une montagne


Disponible en ligne depuis peu, Deepfreeze est un miroir tendu à tous ceux qui se demandent pourquoi on grimpe. Et la réponse, comme toujours, tient en quelques mots : pour rien. Pour le vide. Pour le geste.


Mais surtout pour ce que ça laisse en nous. Les Grandes Jorasses ne sont pas un but ; elles sont un terrain d’expression. Un endroit où l’on apprend à apprivoiser ses peurs, à tester ses limites, et parfois, à accepter que l’on ne conquiert rien. Parce qu’au sommet, il n’y a que le vent et cette certitude étrange : on y reviendra.


Alors, prenez une doudoune, un chocolat chaud, et laissez-vous emporter. Ce film, comme cette aventure, a cette capacité rare : il donne froid au corps, mais chaud au cœur.



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