Escalade et biodiversité : cohabiter ou coloniser ?
L’escalade et la nature, c’est un vieux couple. Celui qui passe son temps dehors, qui connaît chaque recoin de son terrain de jeu, et qui se vante de ne pas être comme les autres. Nous, on ne fait pas du sport dans une boîte en béton, on grimpe dans un sanctuaire. Jolie histoire. Sauf qu’à force de vouloir "vivre en harmonie avec la nature", le grimpeur a fini par s’y installer. Puis par l’envahir. À Fontainebleau, à Céüse, dans les Calanques, il n’est plus un invité. Il est devenu le squatteur bruyant qui raye les murs et salit le tapis.

Alors, comment cohabiter avec la biodiversité sans lui marcher dessus ? C’était l’un des débats du Salon de l’Escalade, organisé par Vertige Media. Un sujet qui fâche, mais qui ne pouvait plus être évité.
Gaétane Potard, ancienne ingénieure agro-environnement, aujourd’hui directrice d’un club FFME et militante pour une escalade plus responsable.
Eline Le Menestrel, grimpeuse pro et activiste, qui tente d’intégrer la question écologique jusque dans la notion même de performance.
Nolwen Berthier, ex-compétitrice de haut niveau et consultante en transition environnementale.
Trois voix, un même constat : l’escalade a un problème avec son terrain de jeu.
Pierre-Gaël Pasquiou, fondateur de Vertige Media et animateur de la conférence, a lancé le débat sans détour :
« L’escalade est en plein boom. On ne s’est jamais autant entassés dans les salles, et de plus en plus de grimpeurs débarquent en falaise avec une approche… disons… inspirée de l’indoor. »
Autrement dit, des milliers de pratiquants débarquent en falaise avec le mode d’emploi du bloc urbain. Sauf qu’en falaise, il n’y a personne pour passer le balai et brosser les dégâts.

Fontainebleau : laboratoire du chaos
Fontainebleau, c’est le parfait exemple de ce que produit une fréquentation exponentielle sur un écosystème fragile.
Gaétane Potard, qui connaît la forêt comme sa poche, ne mâche pas ses mots :
« On ne voit plus que du sable et de la poussière sur certains spots. Les sols sont morts, littéralement. Plus un insecte, plus un brin de mousse. »
Les landes à callune, autrefois couvertes de bruyères et abritant une faune invisible mais essentielle, disparaissent sous la pression humaine. Avec elles, des espèces entières :
« Avant, Fontainebleau accueillait des oiseaux diurnes. Aujourd’hui, ils ont disparu. Tous les mammifères sont devenus nocturnes. »
Le pire ? Ce n’est même pas de la mauvaise volonté. Juste une méconnaissance des conséquences.
Alors, comment limiter la casse ?
✔️ Rester sur les sentiers, au lieu d’improviser des raccourcis qui lacèrent la végétation.
✔️ Ne pas grimper de nuit, sous peine de foutre en l’air le dernier refuge des espèces locales.
✔️ Éviter les sites sensibles en période de reproduction (spoiler : printemps = nidification).
Mais sensibiliser un grimpeur absorbé par sa perf, c’est plus dur que de vendre un topo sans photos.
« La nature n’est pas un terrain de jeu »
L’une des grandes idées qui ressort de la conférence, c’est que les grimpeurs ont perdu leur lien réel avec la nature.
Eline Le Menestrel l’explique :
« Quand on vit en ville, on a l’impression que ce qui rend notre vie possible, c’est notre espace à nous. Quand on doit manger, on va acheter à manger dans un supermarché qui est tenu par des humains. On pense aux agriculteurs, qui sont des humains. Quand on a besoin de se loger, on habite dans un immeuble construit par des humains. Mais en réalité, tout part d’un écosystème vivant qui nous dépasse. »
Sauf que la réalité est toute autre :
« Ce qui rend la planète habitable, c’est pas du tout notre espèce. Tout part du fait qu’il y a des organismes, les végétaux, qui sont capables de transformer l’énergie du soleil en matière organique. À partir de là, c’est le début de la chaîne trophique. »
Autrement dit, la nature n’a pas besoin de nous, c’est nous qui avons besoin d’elle.
Changer de regard, ça passe par deux déclics :
✔️ L’émerveillement : prendre le temps d’observer ce qui nous entoure, pas juste les prises.
✔️ L’information : checker les restrictions avant d’aller sur un site (biodiv’sports existe, utilisez-le).
Et si la performance passait aussi par ça ?

Les salles d’escalade : hors-sol ou alliées ?
Si environ 2/3 des grimpeurs de salle finissent par mettre un pied dehors, les structures indoor ont un rôle clé à jouer.
Gaétane Potard le dit sans détour :
« Au début, les salles répondaient que ce n’était pas leur problème. Que leur job, c’était juste de louer des murs. Mais vu que leurs clients finissent par grimper dehors, elles ne peuvent plus faire comme si elles n’avaient aucune responsabilité. »
Alors, qu’attendre d’elles ?
👉 Intégrer des messages pédagogiques dès l’initiation.
👉 Former aux bon réflexes en extérieur, histoire que les grimpeurs ne se comportent pas en consommateurs passifs en falaise.
👉 Mettre en avant d’autres récits, pas seulement ceux de la performance brute.
L’escalade doit-elle rester un sport où seuls les cotations comptent ?
Nolwen Berthier propose un autre regard :
« Réussir, ce n’est pas forcément cocher un 8a. Ça peut être apprécier un site, grimper différemment, respecter un écosystème. »
À méditer.
Et maintenant ?
Si l’escalade veut continuer à exister en extérieur, elle doit apprendre à composer avec son environnement.
Alors, voici cinq prises de conscience pour ne pas grimper en mode bulldozer :
✔️ Arrêter de réduire l’écologie au carbone : il n’y a pas que le CO2, la biodiversité compte aussi.
✔️ Observer avant d’agir : voir la forêt comme un habitat, pas un simple spot d’entraînement.
✔️ Accepter des contraintes : parfois, il faut juste renoncer à grimper sur certains secteurs.
✔️ Exiger plus des salles et des marques : elles ont une responsabilité dans l’éducation des pratiquants.
✔️ Changer la narration : mettre en avant des histoires qui valorisent autre chose que la cotation pure.
Et si on revoyait la notion de « réussite » en escalade ? Parce qu’un 8a à tout prix, sur un site mort, ça n’a pas vraiment de sens.
Vous avez manqué la conférence ? Pas de panique.
📽️ Vidéo de la conférence :
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