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  • Photo du rédacteurPierre-Gaël Pasquiou

Carnet de voyage : l'ICE Climbing Ecrins - Jour 2

Comme chaque année depuis plus de 30 ans, l'ICE Climbing Ecrins est le point de ralliement des passionné(e)s d'escalade sur glace. Du 25 au 28 janvier, cet événement a attiré initiés et débutants, désireux de profiter de ce rendez-vous. Pierre-Gaël de Vertige Media a eu la chance de s'immerger dans cet univers pendant quatre jours, et vous propose de partager cette expérience à travers une série de quatre articles, un pour chaque jour. Cet article raconte la seconde journée à l'ICE, vous pouvez retrouver le premier en cliquant ici.


ICE Climbing Ecrins - Aiguilles
Crédit : Péma Vives

Nous sommes le 26 janvier, il est maintenant temps de se rendre sur le premier spot d’escalade sur glace. Après un réveil matinal, je rejoins notre équipe à Aiguilles. C’est la première fois que je vais pouvoir m’essayer à cette pratique et je ressens une certaine excitation, proche de celle que je ressens lorsque je me rends aux pieds d’une falaise pour grimper.


Les cascades de glace se situent au coeur du village, au lieu-dit Le Lombard. Le site propose une quinzaine de voies, s'élevant de 15 à 30 mètres avec des difficultés variant entre 3 et 4+. Ce spot permet aussi de s'essayer au dry tooling sur certaines lignes.


Des cotations qui me permettent d’être confiant, mais une discussion avec un guide local m'a vite éclairé sur les subtilités de la cotation en escalade glaciaire. Celle-ci intègre divers éléments tels que la pente, la configuration de la glace, ou encore sa technicité. Par exemple, une cotation de 6 implique de grimper une section verticale de 40 à 50 mètres sur une glace technique et aérée. Donc difficile de comparer avec les cotations d’escalade sportive auxquelles je suis habitué.


Nous passons au briefing où notre guide nous explique comment ajuster nos crampons et insiste sur les règles de sécurité : des blocs de glace peuvent tomber, tout comme des morceaux de rocher. Il n’est pas rare non plus que quelqu’un fasse tomber son piolet pendant l’ascension.


Bien que trépignant d'impatience, j'ai d'abord assuré un grimpeur, observant attentivement sa technique. Quand mon tour est venu, j’ai pu confirmer mon statut de débutant : mes mouvements sont trop brusques et mes efforts disproportionnés. J'ai atteint le sommet, exténué mais enthousiaste, prêt à relever des défis plus ardues.


ICE Climbing Ecrins - Aiguilles
Crédit : Vertige Media
ICE Climbing Ecrins - Aiguilles - Pierre-Gaël Pasquiou
Crédit : Vertige Media

Après plusieurs essais, je finis par trouver un semblant de technique pour ne pas risquer de me planter un crampon dans le mollet et éviter de me fatiguer trop rapidement les bras. Je décide de m’attaquer à la ligne qui me semble être la plus haute du site, celle-ci étant en mixte, un mélange de rocher et de glace. L’occasion pour moi d’être plus subtil dans mes placements car il n’est plus question de planter mes piolets comme une brute, mais plutôt de les placer subtilement pour éviter d’abîmer la falaise ou de casser la fine couche de glace sur laquelle je me tiens.


Benjamin Ribeyre
Crédit : Ulysse Lefebvre

La journée passe à vitesse grand V et il est déjà temps de retourner au village des marques. J’y rencontre Benjamin Ribeyre, guide de haute montagne basé à La Grave. Dès les premiers instants il me partage sa vision de la montagne, un refuge face à la vie urbaine : 


« Moi, je fais de la montagne pour supporter la vie du bas des vallées. »
« J’ai commencé la randonnée pédestre dans le porte-bébé de mes parents. Ma mère a ensuite engagé un guide quand j’avais 7 ans pour aller voir la neige qui était en haut de chez nous, mais en fait, c’était les glaciers. Le guide m’a fait grimper autour du refuge et a conseillé à ma mère de m’inscrire dans un club d’escalade à notre retour, ce qu’elle a fait. Et après, j’ai suivi toutes les étapes : le club de ma ville, le comité FFME départemental, le régional et ensuite le CAF excellence. Globalement, j’ai été pas mal formé par les fédérations. »

Benjamin, en parallèle, a fait des études de géologie mais a rapidement compris que cela allait le mener vers un mode de vie qui ne le satisferait pas pleinement, ou en tout cas, qui ne lui permettrait pas de s'épanouir.


« J’ai vite vu que j’allais passer ma vie derrière un ordinateur. Donc, je me suis réorienté vers une activité de guide. Je vis principalement de cette activité mais aussi un peu comme athlète en tant que représentant des marques à travers mes projets. Je n’ai pas beaucoup de clients, mais ils me font beaucoup travailler. Ce sont des gens que je connais maintenant très bien, qui me font confiance et qui ne sont plus choqués par mes propositions qui peuvent sortir des standards. J’essaie de m’adapter parce qu’il n’y a plus vraiment de saisons aujourd’hui, et de proposer des sorties pendant lesquelles on passe du bon temps avant tout. Même si ils ont souvent des projets, j’essaie de ne pas tout axer autour de la performance, comme je pouvais le faire avant, et surtout j’insiste sur l’enjeu de s’adapter aux conditions. »

Benjamin privilégie des projets alpins authentiques et évite les courses devenues trop mainstream. Pour lui, l'alpinisme ne se résume pas à quelques sommets ou à des performances.


« J’essaie de leur trouver un nouveau projet et de leur faire comprendre que l’alpinisme ne se résume pas à deux sommets dans les Alpes ou faire un 4 000. Si c’est juste pour cocher une case dans leur todo list, ça ne m’intéresse pas du tout. Des projets comme ça, je les refuse parce que je n’aurais pas non plus la bonne énergie pour les faire. »

Un discours qui confirme mes propres expériences : à chaque fois que j’ai voulu travailler avec un guide, on n’a jamais fait ce pour quoi je l’avais appelé à la base. Une anecdote qui l’a bien fait rire et qui, pour lui, confirme la qualité des personnes avec qui j’ai pu travailler.


« La problématique, c’est que l'on hérite d’une image de l’alpinisme qui est un délire de conquérants. Passer du temps en montagne, ce n’est vraiment pas que ça, et c’est pour ça que nos clients doivent comprendre l’enjeu de co-construire une sortie. Moi, je m’adapte pas mal aux gens. Si ce sont des personnes qui font beaucoup de trail, qui vont donc être rapides, eux, je vais leur proposer de faire de la distance et de voir du paysage. Si j’ai des gens qui viennent plutôt de l’univers de l’escalade, je vais leur proposer de la haute montagne sur un caillou assez sain. On ne va pas directement les balancer sur le caillou des Ecrins qui demande un peu d’attention. »

Aymeric Clouet guide
Crédit : Marc Daviet

De l’autre côté du mange-debout sur lequel nous sommes installés se trouve une autre personne qui observe attentivement notre échange.


« Moi, c’est Aymeric Clouet. J’ai 46 ans et je suis guide de haute montagne depuis 2017. Comme Benjamin, j’ai commencé la montagne avec mes parents : beaucoup en randonnée, un peu en escalade, jamais trop en alpinisme. Mais j’ai quand même fait une course dans les Pyrénées avec mon père quand j'avais 10 ans, du terrain d’aventure sur des arêtes. »

J’essaie de me représenter ce qui peut se passer dans la tête du petit Aymeric à 10 ans lorsqu’il réalise une telle sortie.


« Ha, bah j’étais fan. Grimper, c’était déjà ma came à ce moment-là. Du côté de mes parents, ça ne les faisait pas forcément beaucoup vibrer, donc j’avais l’impression de jamais en avoir assez. Suite à un déménagement à Voiron, j’ai intégré une école dont le prof d’EPS était guide de haute montagne. Il avait une organisation autour de la montagne hyper intéressante : le mercredi, on faisait du ski de randonnée et l’été de l’escalade. Ce prof, c’était Pierre Clerc. Il a mis beaucoup de monde à la montagne grâce à sa passion. C’est lui qui a fait que j’ai voulu faire ce métier. »

Même si je trouve ça évidemment génial, étant fils de proviseur, je m’interroge quand même sur comment il arrivait à faire ce qu’il faisait sans avoir de problème avec l’Éducation Nationale.


« Il était clairement borderline et a dû beaucoup se battre pour réussir à faire ce qu’il nous faisait faire. Ses méthodes n’étaient pas spécialement appréciées. »

« Mes parents étaient ok avec le principe que je choisisse cette voie, mais à condition de passer un diplôme plus classique à côté. Donc, j’ai fait un DUT génie civil parce que c’était possible de le faire en sport-études. J’ai fait mon truc et, à la fin, j’ai recommencé à zéro en STAPS, et j’ai commencé ma liste de course pour être guide. J’ai rencontré d’autres gars qui étaient dans la même optique que moi et ça a été vraiment le début de la montagne pour moi. En parallèle, je faisais des stages organisés par la FFME, et de fil en aiguille, je suis rentré dans l’équipe nationale d’alpinisme. Le métier de guide s’est mis en place et m’a permis de financer mes expéditions. »

« J’ai d’abord fait le métier de guide avec des agences. Je n’ai jamais mis trop d’énergie dans le fait de chercher des clients, parce que c’est compliqué. Et grâce à ça, j’ai rencontré des clients qui m’ont embauché sur plusieurs courses. »

Aymeric travaille avec pas mal de clients internationaux et je m’interroge sur les potentielles différences entre les attentes que peuvent avoir ses clients en fonction des pays d’où ils viennent. Pour lui, les Anglo-Saxons et les Français ont des attentes très différentes :


« Sur l’exigence, la remise en cause des décisions que je prends, etc. Il y a de vraies spécificités culturelles. Le schéma de pensée sur les sujets sécurité et performance sont très différents et ça mérite vraiment que l’on s’interroge sur comment faire évoluer les mentalités. En montagne, on ne peut pas faire tout ce que l’on veut comme on veut, c’est pas toujours évident à faire comprendre à certains clients français. Il y a les conditions météorologiques, mais aussi les conditions du client au moment de la course. »

Un sujet sur lequel les guides sont d’ailleurs formés, vendre une course ça requiert une certaine pédagogie pour expliquer que le projet de base peut être challengé par de nombreux paramètres qui sont difficiles à anticiper. Et d’ailleurs, Aymeric est aussi formateur pour aider les aspirants guides à bien gérer ce type de problématique.


« Être formateur, ça me permet aussi de mesurer le chemin parcouru et de transmettre un niveau d’expertise que les jeunes pourront acquérir potentiellement plus rapidement. D’autant que les DE, ce sont des diplômes auxquels on accède rapidement, donc c’est difficile de tout balayer en profondeur. L’idée, c’est de donner des billes, en particulier sur la sécurité, et après on apprend sur le terrain, souvent de ses erreurs. Même moi, je continue à apprendre aujourd’hui, et des fois, je refais les mêmes erreurs. »

Je lui parle de la beauté de la montagne, de ses bienfaits, mais Aymeric tempère un peu mes ardeurs :


« Attention, la montagne, c’est beau, mais c’est dur. J’ai vu pas mal de monde mourir, et on a beau se raccrocher à cette beauté, quand on est guide, les accidents s’additionnent et à un moment, c’est lourd. D’ailleurs, moi, maintenant, quand je sens que ça sent pas bon, je rentre. »

C’est bien, Aymeric remet mes fantasmes un peu à leur place. Il me reste encore un peu de temps à tuer, j’ai vu que le bar servait une bière « Le Monde d’Après ». Une boisson on ne peut plus locale puisque la micro-brasserie se trouve à quelques enjambées de l’endroit où je me trouve. J’avais eu l’occasion de découvrir leur micro-brasserie l’été dernier alors que j'attendais mon train suite à un voyage de 4 jours d’escalade dans la région.


Ice Ecrins
Crédit : Vertige Media

Un spectacle aérien a lieu juste à côté du bar, j’en profite pour regarder ces deux femmes qui font du tissu aérien. C’est magnifique, mais je suis quand même un peu inquiet de les voir monter si haut, s’enrouler et se dérouler dans ce tissu. Ça me fait penser au fait que j’ai croisé Antoine Le Menestrel entre deux stands, la star incontestée de la danse verticale, j’espère avoir l’occasion d’échanger avec lui !


Après le dîner quotidien organisé toujours sous le même barnum, une conférence sur comment s’adapter aux nouveaux enjeux liés aux dérèglements climatiques est organisée. Benjamin Ribeyre et Antoine Le Menestrel sont justement sur scène avec d’autres intervenants. Je découvre avec gourmandise la projection « Une belle trace » dans lequel Benjamin et Fred Degoulet effectuaient une traversée autour de la Mer de Glace. Neuf jours pour gravir les 16 sommets de plus de 4 000 mètres qui sont racontés dans ce film de 20 minutes.


Mais on ne va pas se mentir, je tombe un peu de sommeil, il est temps pour moi d’aller me glisser dans mon lit pour reprendre les forces nécessaires à mes ascensions prévues le lendemain matin.


L'article de la troisième journée est accessible en cliquant juste ici.

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