Bon Voyage 2057 : Quand l’escalade imagine son propre Black Mirror
Si Black Mirror s’attaquait à l’escalade, il en sortirait probablement un épisode où les grimpeurs en collant argenté jouent au chat et à la souris avec des drones fédéraux. Une version futuriste où le plastique a définitivement avalé le rocher, où grimper dehors est un acte de rébellion, et où James Pearson est un criminel en fuite.
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Derrière ce scénario barré, Miguel Baudin de Kayoo TV et Seb Berthe n’ont pas cherché à livrer un manifeste politique ni à signer une pétition anti-résine. Ils ont simplement poussé un délire jusqu’au bout, en imaginant ce que donnerait une escalade entièrement domestiquée. Un monde où la sécurité, l’optimisation et la monétisation ont gagné par KO, et où l’idée même de toucher du rocher est aussi archaïque que grimper sans baudrier.
La Loi Plastique : une blague qui sonne étrangement juste
Dans ce monde parallèle, l’escalade en extérieur a été éradiquée en 2028, enterrée sous une "Loi Plastique" qui bannit toute grimpe hors des murs homologués. Résultat ? Les falaises sont devenues des vestiges interdits, les murs artificiels règnent en maîtres, et les grimpeurs sauvages sont des hors-la-loi traqués par la Fédération.
Science-fiction ? Pas totalement.
Aujourd’hui, sans même parler de dystopie, l’escalade mute. Le nombre de salles explose, les formats compétitifs cartonnent, et le rocher, lui, se complique. Trop de monde, trop de règles, trop de frictions. À mesure que la discipline se développe, elle devient un enjeu de régulation, d'encadrement, de responsabilité.
Le film ne dit pas que ça va arriver, il joue simplement avec l’idée qu’en poussant un peu plus loin certaines tendances, on pourrait bien s’y retrouver.
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C’est absurde… mais pas complètement faux
Et c’est précisément pourquoi le parallèle avec Black Mirror fonctionne aussi bien.
À part ton oncle complotiste, personne ne termine un épisode en disant "Ah ben voilà, c’est exactement ce qui va se passer."
Mais tout le monde a une petite voix au fond du crâne qui murmure : "Non, évidemment, ça ne sera pas comme ça… mais quand même, il y a un peu de vrai."
Personne ne cherche sérieusement à interdire l’escalade en extérieur. Il n’y a pas un lobby du plastique qui fomente un plan secret contre le caillou. Mais Bon Voyage 2057 fonctionne parce qu’il joue avec des dynamiques bien réelles, qui, mises bout à bout, esquissent un futur qui ne semble plus si absurde.
D’un côté, les restrictions pleuvent. À chaque fois, elles ont une logique. Réguler l’accès à une falaise pour protéger une espèce nicheuse ? Qui dirait non. Encadrer l’alpinisme sur des sommets saturés pour éviter que la montagne ne se transforme en autoroute du tourisme ? Ça se défend. Imposer des quotas en canyoning pour limiter l’impact humain sur l’environnement ? Une mesure pleine de bon sens.
Mais additionnées, ces décisions grignotent, petit à petit, les espaces de liberté. Ce qui était une pratique spontanée devient un cadre à suivre, un accès à demander, une autorisation à décrocher, un prix à payer.
De l’autre, les salles d’escalade tournent à plein régime. Là, pas de restrictions, pas de batailles administratives, pas de soucis d’environnement fragile. Elles sont propres, rentables, sans conflits d’usage, et elles garantissent aux grimpeurs un produit standardisé, consommable, renouvelé chaque semaine. Ce n’est pas un problème en soi – l’indoor a amené un nouveau public, dynamisé la discipline. Mais à mesure que l’outdoor devient plus complexe à défendre, les marques se recentrent sur ce qui est le plus simple à vendre. Certaines ne produisent même plus rien pour l’extérieur.
Ça ne veut pas dire que la falaise va disparaître. Mais il y a un schéma qui se répète. Moins d’accès au naturel, plus de business sur l’artificiel.
Rire jaune et magnésie sous surveillance
Là où Bon Voyage 2057 est malin, c’est qu’il ne cherche jamais à dire "attention, ce futur vous guette." Il préfère balancer des grimpeurs en cosmonautes, des interventions télévisées absurdes et une propagande fédérale dystopique pour nous faire marrer, sans nous interdire de réfléchir.
C’est là que l’exagération devient percutante : en poussant la logique trop loin, elle force à voir ce qui est déjà là, en sourdine. Bref, c’est notre avis. Regardez la vidéo et faites-vous le vôtre :