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Australie : Mont Arapiles, champ de bataille culturel et vertical

Au sud-est de l’Australie, dans l’État de Victoria, les plaines monotones s’arrêtent net devant un bastion de grès : le mont Arapiles, ou Dyurrite, comme l’appellent les Wotjobaluk, ses premiers gardiens. On y trouve de tout : des fissures exigeantes, des dalles techniques, des toits qui mettent les nerfs à rude épreuve. Mais derrière les lignes dessinées par les grimpeurs, la roche porte aussi les traces d’une histoire millénaire, celle d’un peuple pour qui ce lieu est bien plus qu’une suite de falaises.


© Parks Victoria
© Parks Victoria

Depuis trois ans, ce paradis de l’escalade australienne est au cœur d’une tension croissante. D’un côté, des grimpeurs attirés par ces parois uniques. De l’autre, les Wotjobaluk, déterminés à préserver un héritage culturel qui dépasse la verticalité. Ici, chaque geste, chaque décision semble peser lourd, et la corde entre les deux mondes est plus tendue que jamais.


Les Wotjobaluk, mémoire vive de Dyurrite


Les Wotjobaluk, peuple autochtone de l’ouest du Victoria, ne considèrent pas Dyurrite comme un simple relief sur une carte. Ce mont est un témoin de leur histoire, un espace spirituel où la terre et leurs ancêtres se mêlent. Des enquêtes archéologiques récentes ont mis au jour des vestiges d’une valeur inestimable : des arbres à cicatrices, témoins d’un artisanat millénaire ; des outils façonnés, abandonnés sur les lieux mêmes où ils furent utilisés ; des peintures rupestres qui défient le temps.


Ces découvertes, discrètes mais omniprésentes, rappellent que chaque pierre de Dyurrite porte une signification. Pour les Wotjobaluk, les grimpeurs ne dégradent pas seulement des sites physiques ; ils empiètent sur une mémoire vivante. Alors, face à l’afflux croissant des amateurs de verticalité, la demande de protection devient pressante.


Arapiles : bastion de la grimpe libre


Depuis les années 1960, le mont Arapiles est devenu un haut lieu de l’escalade australienne, avec ses 3 000 voies qui attirent grimpeurs de tous niveaux. Des secteurs emblématiques comme Mitre Rock ou The Organ Pipes abritent des lignes techniques et variées, offrant autant d’épreuves pour les débutants que de défis pour les experts.


Parmi ces lignes, certaines ont acquis une renommée mondiale. Kachoong (6c), avec son toit suspendu au-dessus du vide, est devenue une icône de l’escalade traditionnelle, un rite de passage pour les amateurs d’audace. À l’autre extrémité du spectre, Punks in the Gym (8b+), libérée par Wolfgang Güllich en 1985, a marqué un jalon dans l’histoire de l’escalade sportive, étant reconnue comme la première voie au monde à atteindre ce niveau de difficulté.


Fermetures en cascade


C’est dans ce contexte que Parks Victoria, gestionnaire du parc, a lancé son projet de gestion du mont Arapiles. L’objectif : protéger les sites culturels identifiés par les Wotjobaluk. La méthode : fermer 48 % des voies d’escalade. Une mesure qui coupe court à toute subtilité.


Pour les grimpeurs, cette décision est un coup de massue. Près de 1400 voies seraient interdites, sans nuance, sans distinction entre les zones réellement sensibles et celles où l’impact est négligeable. Pis encore : aucune consultation initiale n’a été menée auprès des utilisateurs du site. Le message est clair, presque brutal : l’accès n’est plus un droit, mais une tolérance révisable.


Un dialogue sous tension


Les Wotjobaluk, eux, dénoncent une autre forme de marginalisation. Ils n’ont pas été pleinement associés à l’élaboration de ce projet, et la prolongation de la consultation publique jusqu’en février 2025 est perçue comme un geste vide de sens. Entre grimpeurs frustrés et propriétaires traditionnels en colère, Parks Victoria semble avoir réussi l’exploit de braquer tout le monde.


Mais le véritable problème, ici, c’est l’absence de dialogue. Les grimpeurs ne sont pas des ennemis de la culture autochtone. Au contraire, beaucoup sont prêts à respecter ces lieux, pour peu qu’on leur explique leur importance. Les Wotjobaluk, de leur côté, ne rejettent pas la grimpe dans son intégralité, mais demandent qu’on prenne en compte leur perspective.


Le terrain d’entente existe. Il pourrait passer par des fermetures ciblées, une meilleure sensibilisation des grimpeurs, et une collaboration plus étroite entre toutes les parties. Mais cela nécessite une volonté réelle de coopération – et de pédagogie.


Dyurrite, ou l’art de la tension permanente


Le mont Arapiles est bien plus qu’un amas de grès perdu au bout du monde. Il est devenu un symbole, celui d’une cohabitation impossible entre des usages modernes et un héritage immémorial. Mais au-delà des tensions locales, il interroge notre rapport aux espaces naturels : peut-on encore imaginer partager ces lieux sans en sacrifier une partie ?


En France, des problématiques similaires émergent. Fermetures de falaises pour raisons écologiques, restrictions pour protéger la biodiversité : partout, la tension monte entre usagers et gestionnaires. Ce que nous enseigne Dyurrite, c’est que la falaise est un miroir de nos contradictions.


Grimper, ce n’est pas s’approprier une paroi. C’est dialoguer avec elle. Comprendre son histoire, ses fragilités. Trouver cet équilibre fragile entre liberté et respect. À Dyurrite, ce dialogue est encore à inventer. Mais une chose est sûre : ce ne sont pas les prises qui manquent.

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