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Photo du rédacteurPierre-Gaël Pasquiou

Andrea : dépasser les murs, toucher l’humanité

Sur les banquettes du cinéma, pendant l’entracte, Nina Caprez et Jérémy Bernard avaient l’air un peu sur leurs gardes. Comme si cette interview improvisée était une prise qu’ils n’avaient pas vraiment prévue d'attraper. Quelques questions plus tard, le sourire de Nina éclate, Jérémy se détend, et leur récit commence à s’esquisser. Andrea, le camion tout-terrain qu’ils ont métamorphosé en mur d’escalade itinérant, dépasse largement sa dimension pratique. Projeté à Femmes en Montagne, leur film dévoile un rêve qui mêle élégamment sport, humanité et quête de sens. Plus qu’un simple périple, Andrea est une réponse. Une réponse à l’enfermement, au cloisonnement des existences, un acte d’amour pour tout ce que les murs ne devraient jamais représenter.


Andrea Escalade
© Jeremy Bernard

La rencontre, la vision : aux racines du projet


« Quand on s’est rencontrés à 33 ans, nos vies étaient déjà pleines », raconte Nina, qui vient de célébrer ses 38 ans. Son regard vif contraste avec le calme presque méditatif de Jérémy.


« Lui, il explorait les montagnes à travers son objectif, moi je passais ma vie sur les parois. On avait déjà accompli beaucoup, mais quelque chose nous manquait. »

Ce « quelque chose » a pris la forme d’un camion. Pas n’importe lequel : un Unimog de 6,4 tonnes, ancien gladiateur du Paris-Dakar, transformé par leurs soins en une maison roulante avec un mur d’escalade déployable. Baptisé Andrea, ce colosse de métal porte un nom qui intrigue. « Nina m’avait toujours dit qu’elle aimait ce prénom et qu’elle voudrait appeler un de nos enfants Andrea. Mais moi, je n’aimais pas du tout. Alors quand il a fallu trouver un nom pour le projet, je me suis dit : parfait, on l’appelle Andrea, et comme ça, nos enfants ne s’appelleront pas comme ça. » Nina acquiesce en souriant : « Aujourd’hui, Andrea, c’est bien plus qu’un prénom ou un nom de projet. Ça représente ce qu’on a voulu construire ensemble, en combinant nos vies et nos passions. »


Leur ambition ? Traverser les frontières, au propre comme au figuré.


« On voulait apporter l’escalade là où elle n’existe pas. Des quartiers oubliés, des camps de réfugiés, des lieux où grimper signifie s’évader, ne serait-ce qu’un instant. »

Andrea Escalade
© Jeremy Bernard
Andrea escalade
© Jeremy Bernard

Andrea, ou le mur qui unit


Andrea est un paradoxe ambulant : massif, presque intimidant, mais capable de créer une proximité immédiate. À son bord, un mur de 3,30 mètres de haut, montable en cinq heures, devient le point de convergence de toutes les rencontres. « Quand on installe ce mur, on voit les visages s’éclairer », raconte Nina.


« C’est un outil simple, mais il abolit les différences. Devant une paroi, il n’y a plus d’âge, plus de genre, plus d’origine. Juste un corps et une gravité à apprivoiser. »

Le premier test grandeur nature a eu lieu à Vulcan, un quartier déshérité de Roumanie surnommé ironiquement « Dallas ». « On était entourés d’immeubles décrépits, de routes poussiéreuses, et au milieu de ça, ce mur coloré. Les enfants n’en revenaient pas », se souvient Jérémy. Une petite compétition improvisée a vu les gagnants repartir avec des chaussons d’escalade. « Ce n’était pas grand-chose, mais dans leurs regards, c’était immense. »


Le passage par un camp de réfugiés en Grèce a offert une autre lecture du projet. Là-bas, les murs symbolisent l’enfermement, les frontières infranchissables. Andrea a inversé cette logique. « Les enfants grimpaient pour le plaisir, pour le défi, pas pour s’échapper. C’était beau et douloureux à la fois », confie Nina.


Improviser avec méthode : l’éthique d’Andrea


Andrea n’est pas un spectacle itinérant. Jérémy insiste sur ce point. « On ne débarque pas avec notre camion comme des colons du divertissement. Chaque étape est pensée, discutée avec des associations locales. On observe, on s’intègre. Ce n’est jamais imposé. »


Pour autant, l’improvisation reste au cœur du projet. « On ne sait jamais exactement où on va. C’est le voyage et les rencontres qui nous guident. Mais une fois sur place, on prend le temps. » Une lenteur revendiquée, presque militante, dans un monde où tout s’accélère.


Au Maroc, cette philosophie s’est heurtée à l’imprévu. « On n’avait pas prévu de faire face à un tremblement de terre », raconte Nina. « Mais on était là, avec nos outils, nos mains, notre camion. Alors on a aidé. » Le camion, habituellement consacré à l’installation du mur d’escalade, a servi de base logistique. Andrea, conçu pour rapprocher les gens autour de l’escalade, s’est transformé en un outil d’urgence, utilisé pour transporter du matériel et soutenir les efforts locaux.


« On n’a pas réfléchi, on a juste fait ce qu’on pouvait avec ce qu’on avait »

Andrea Escalade
© Jeremy Bernard
Andrea Escalade
© Jeremy Bernard

Ces moments ont bouleversé la trajectoire du projet, autant qu’ils l’ont enrichi. « Ce qui nous a frappés, c’est la résilience des gens », confie Nina. « Ils nous remerciaient, alors que c’était eux qui portaient tout sur leurs épaules. C’était une leçon d’humilité incroyable. »


Un film pour comprendre


Le film présenté à Femmes en Montagne plonge au cœur de cette aventure. Tourné sur un an et demi, il capture autant les instants de grâce que les épreuves imprévues, comme ce tremblement de terre. « Ce n’est pas un film de performance », insiste Jérémy.


« C’est une capsule de vie. On y parle de notre quotidien, de notre couple, de notre parentalité, et de ce que ce projet représente pour nous. »

L’un des passages les plus poignants revient sur la naissance de leur fille Lia, atteinte d’une malformation cardiaque. « Ça a ralenti le projet, mais jamais arrêté », explique Nina. Andrea, dans ces moments d’incertitude, est devenu un espace de résilience et de continuité. « C’est notre façon de vivre, pas une parenthèse », résume-t-elle.


Andrea escalade
© Jeremy Bernard

En filigrane, le film met en lumière ce que Nina et Jérémy cherchent à transmettre : une certaine manière de ralentir, de s’adapter à l’inattendu, de tisser des liens au gré des rencontres. « Ce n’est pas juste un projet », conclut Nina. « À travers Andrea, on partage autant qu’on reçoit. Ce n’est pas qu'une aventure, c’est une manière d’être et de vivre. »


L’avenir : une tournée française, un horizon élargi


Avec un deuxième enfant attendu en février, Nina et Jérémy s’apprêtent à écrire un nouveau chapitre. Leur prochain défi : une tournée française. « Beaucoup nous demandaient pourquoi on ne faisait rien ici », sourit Nina. « Alors on s’est dit, pourquoi pas. »


Un nouveau camion, plus grand et mieux adapté, arrivera au printemps. « On se laisse quatre ans pour ce projet », explique Jérémy. Mais la philosophie reste la même : avancer lentement, librement, sans pression. « Andrea, ce n’est pas un projet guidé par le business ou le marketing. C’est quelque chose qu’on fait pour nous, et pour les autres, sans chercher à vendre quoi que ce soit », souligne Jérémy.


Andrea : plus qu’un mur, un élan


Au fil de leur récit, une chose devient évidente : Andrea c’est une idée en mouvement, un espace de rencontre et de partage. Une preuve qu’un simple projet peut abattre des murs, symboliquement et littéralement.


Ce camion ne transporte pas seulement un mur, il transporte une vision : celle d’un monde où chaque rencontre, redessine les contours de l’humanité. Nina et Jérémy ne cherchent pas à gravir les sommets les plus prestigieux. Leur ambition est ailleurs : bâtir des parois à hauteur de rêve, là où l’espoir manque, et prouver que parfois, les ascensions les plus impressionnantes commencent au pied des murs oubliés.



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