Alex Honnold : dans l’ombre des sommets, la lumière d’un homme
Il y a des noms qui dépassent les frontières de leur discipline, et Alex Honnold en fait indéniablement partie. Connu mondialement pour ses ascensions en solo intégral, il incarne autant l’audace que la maîtrise. Pourtant, ses confidences dans une récente interview pour The InnerView, une série dédiée aux conversations longues et fouillées, révèlent un Honnold moins connu. À travers cet échange, le grimpeur se livre sans détour sur ses choix de vie, ses réflexions intimes et ses engagements pour un monde en mutation.
Si son ascension légendaire d’El Capitan en 2017 reste gravée dans la mémoire collective, cette discussion nous emmène bien au-delà des images de falaises vertigineuses. Entre les défis de la parentalité, son engagement écologique et la popularisation massive de l’escalade, Alex Honnold apparaît dans toute sa complexité. Un regard approfondi sur un homme dont la vie et les réflexions, comme ses ascensions, défient les normes.
Un van pour quatre : l’aventure sous un autre angle
Le van. Symbole d’un mode de vie minimaliste et nomade, il fut longtemps l’univers d’Alex Honnold. Pendant plus d’une décennie, il sillonnait les routes dans un véhicule spartiate, vivant pour grimper, dormir et repartir vers la prochaine paroi. Aujourd’hui, ce van raconte une autre histoire. Celle d’un père de famille qui partage désormais cet espace confiné avec sa femme et ses deux filles. « Rien à voir avec ma vie d’avant », résume-t-il. « Je grimpais, je me reposais, et le reste du temps, je faisais ce que je voulais. Maintenant, je suis constamment occupé avec les enfants. »
« Voir leurs yeux s’émerveiller, c’est comme grimper pour la première fois »
Cette nouvelle dynamique impose son lot de défis. Voyager à quatre transforme le moindre trajet en une expédition logistique. Pourtant, Alex Honnold n’y voit pas un renoncement mais une redécouverte. Explorer les mêmes parois avec ses filles, leur faire découvrir la magie des lieux qui l’ont façonné, c’est une autre forme d’ascension : celle du partage. « Voir leurs yeux s’émerveiller, c’est comme grimper pour la première fois », confie-t-il.
La peur, cette vieille amie
Quand on pense à Alex Honnold, la question de la peur revient immanquablement. Comment un homme peut-il affronter des parois gigantesques sans corde, là où chaque faux pas est fatal ? Et surtout : la paternité a-t-elle modifié son rapport au risque ? « Pas vraiment », affirme-t-il, presque désinvolte. « J’étais déjà effrayé par la mort avant d’avoir des enfants. Je le suis toujours. »
« J’étais déjà effrayé par la mort avant d’avoir des enfants. Je le suis toujours. »
Ce qu’Alex Honnold décrit, c’est une gestion méticuleuse du danger. Préparation exhaustive, répétition des mouvements jusqu’à ce qu’ils deviennent instinctifs, refus du moindre imprévu : sa méthode n’a pas changé. Ce qui a évolué, c’est son calendrier. Moins de grands projets lointains, davantage de grimpe en local, et une pratique moins fréquente. Non pas par peur, mais par nécessité. « Aujourd’hui, chaque ascension doit s’intégrer dans un équilibre familial. Mais l’essence reste la même : être sur la roche, en harmonie avec le lieu. »
Voir le monde avec des yeux neufs
En 2023, Alex Honnold s’est lancé dans une aventure atypique avec son ami de longue date, Tommy Caldwell. Ensemble, ils ont traversé l’Amérique à vélo pour atteindre le Devil’s Thumb, un sommet majestueux d’Alaska. Cette expédition a offert à Alex Honnold une prise de conscience saisissante. « J’ai réalisé à quel point j’avais une vision biaisée du monde. En tant que grimpeur, je fréquente des lieux préservés : des parcs nationaux, des montagnes isolées. Mais en traversant ces territoires à vélo, j’ai vu une Amérique exploitée, dégradée, où les communautés locales peinent à prospérer. »
« Il m’a montré que nous avons encore beaucoup à faire, pour les paysages comme pour les communautés. »
Cette expérience renforce un engagement qu’Honnold porte depuis longtemps. Avec la Honnold Foundation, il finance des projets solaires communautaires à travers le monde, liant justice sociale et préservation de l’environnement. « Quand on protège l’environnement, on protège aussi les gens qui en dépendent », insiste-t-il. Et ce voyage à vélo ? « Il m’a montré que nous avons encore beaucoup à faire, pour les paysages comme pour les communautés. »
La popularisation de l’escalade : un paradoxe moderne
Longtemps marginale, l’escalade est désormais partout : dans les salles, sur les écrans, aux Jeux Olympiques. Ce sport autrefois réservé à quelques initiés est devenu une industrie en pleine expansion. Si certains puristes redoutent une perte de son âme, Honnold y voit une opportunité. « Même si quelqu’un ne grimpe qu’en salle, c’est déjà une porte d’entrée vers quelque chose de plus grand. Et s’ils passent un jour à l’extérieur, ils vivront des expériences inoubliables en pleine nature. »
Mais il n’ignore pas les paradoxes de cette massification. L’escalade devient un produit de consommation, standardisé et parfois vidé de sa substance. Pourtant, pour Honnold, l’essentiel demeure : « Plus il y a de grimpeurs, plus il y a de gens connectés à la nature. Et dans un monde où ces espaces sont menacés, c’est crucial. »
Une icône qui interroge ses choix
Que reste-t-il de l’Alex Honnold d’avant Free Solo, ce grimpeur solitaire prêt à défier la mort pour un moment de grâce sur une paroi ? Tout, et rien. Si ses priorités ont évolué, l’essence de son engagement demeure intacte. « Je grimpe toujours pour les mêmes raisons : parce que c’est un jeu, une joie. »
« Si être connu me permet de vivre de ce que j’aime et d’avoir un impact positif, alors c’est un prix que je suis prêt à payer. »
Dans cette conversation avec The InnerView, il apparaît lucide sur sa notoriété. « Si être connu me permet de vivre de ce que j’aime et d’avoir un impact positif, alors c’est un prix que je suis prêt à payer. » Pourtant, il reste clair : ce n’est pas la célébrité qui le définit, mais son rapport à la roche, à l’effort, et à la beauté des lieux qu’il explore.
Un homme en quête de sens
Alex Honnold n’est pas qu’un grimpeur hors norme. Il est aussi un père attentif, un militant engagé et un homme en constante évolution. À travers ses choix de vie, il pose une question fondamentale : pourquoi grimpons-nous ? Pour atteindre des sommets, ou pour le simple plaisir de nous élever ? Sa trajectoire, inspirée autant par les sommets que par les regards émerveillés de ses enfants, nous invite à y réfléchir.