Accidents en salle d'escalade : ce que dit vraiment la loi
- La rédaction
- 9 avr.
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Dernière mise à jour : il y a 5 jours
Cérémonial de comptoir de toute entrée fracassante dans une salle, la décharge de responsabilité ne vaut pourtant pas grand-chose. Et alors que les accidents sont proportionnels au nombre d’ouverture de SAE (Structures Artificielles d'Escalade), on a voulu en savoir plus sur le droit, le vrai, en donnant du mou à un avocat spécialisé. Interview assurée.

Grimpeur chevronné et ancien champion de France jeune d’escalade, Raphaël Tandetnik est avocat en contentieux des affaires chez BCTG dont l’expertise s'étend à tous les domaines du droit des affaires appliqué à l’univers du sport. Également mandataire sportif, Raphaël accompagne régulièrement les acteurs et entreprises du secteur sportif, principalement dans le domaine de l’escalade et de l’alpinisme.
Vertige Media : On entend de plus en plus parler d'accidents en salle d'escalade. Est-ce que ça augmente vraiment ?
Raphaël Tandetnik : Effectivement, avec la démocratisation de l'escalade et la multiplication des salles, le nombre d'accidents augmente mécaniquement depuis une quinzaine d’années ; en témoigne le nombre croissant de décisions de justice en la matière. Cela touche tout le monde, des débutants aux experts, comme l'a montré récemment l'accident médiatisé d'une athlète de haut niveau pendant son entraînement.
VM : Quand un accident se produit, qui peut être tenu responsable ?
Raphaël Tandetnik : Une multitude d'acteurs peuvent être impliqués selon l'origine de l'accident : le constructeur de la salle, l'opérateur chargé de la maintenance, votre partenaire qui vous assure, le fabricant du matériel... Mais au regard de de la jurisprudence analysée, c'est le plus souvent la responsabilité du partenaire de grimpe ou de l'encadrant professionnel qui est recherchée. Parfois, plusieurs personnes peuvent être responsables simultanément ; cela pourrait être le cas d’un assureur qui commettrait une négligence avec un système d'assurage lui-même défectueux.
VM : Le droit fait-il une différence entre un accident causé par un ami qui m'assure et un moniteur professionnel ?
Raphaël Tandetnik : Absolument, et c'est fondamental. Le droit français distingue deux types de responsabilité. Lorsque vous êtes engagé dans une relation contractuelle (par exemple avec un moniteur ou une salle privée), on parle de responsabilité contractuelle. Sans contrat (par exemple avec votre ami qui vous assure), c'est de la responsabilité extracontractuelle. Dans les deux cas, pour obtenir réparation, il faut prouver trois éléments : une faute commise par le responsable, un dommage subi, et un lien direct entre cette faute et ce dommage.
« Les salles doivent mettre en œuvre tous les moyens raisonnables pour assurer votre sécurité, mais ne peuvent pas garantir qu'aucun accident ne se produira jamais »
VM : Concrètement, quelles obligations pèsent sur les salles d'escalade et les moniteurs envers les grimpeurs ?
Raphaël Tandetnik : Ils ont ce qu'on appelle une « obligation de sécurité », mais attention, c'est une obligation dite « de moyens » et non « de résultat ». En clair, ils doivent mettre en œuvre tous les moyens raisonnables pour assurer votre sécurité, mais ne peuvent pas garantir qu'un accident ne se produira jamais.
La jurisprudence considère que l'escalade implique un rôle actif de chaque participant, ce qui crée forcément un aléa. Par exemple, dans une affaire jugée en 2017, une grimpeuse a été heurtée par un autre grimpeur qui descendait d'une voie (Cass. Civ. 1e, 25 janvier 2017, n°16-11953). La Cour a estimé que l'exploitant de la salle n'était pas responsable car le règlement informait clairement qu'il était interdit de rester au sol sous un grimpeur, et rien n'empêchait la victime de s'éloigner.
VM : Les juges sont-ils plus sévères quand les victimes sont des débutants ?
Raphaël Tandetnik : Tout à fait. L'obligation de sécurité est appréciée très rigoureusement dans les sports considérés comme potentiellement dangereux. On parle même parfois d'« obligation de moyens renforcée » et les juges tiennent compte du niveau de connaissance de la victime. Un exemple frappant : en 2022, une débutante s'est blessée en chutant sur un tapis lors d'une séance encadrée par un bénévole (CA Rennes, 2e ch., 24 juin 2022, n° 19/02425). Le club a été condamné car la victime était novice et non familière de l'exercice. Et même si l'épaisseur des tapis était conforme aux normes, l'encadrant aurait dû adapter les règles de protection habituelles au niveau débutant.
« Il appartient toujours au gestionnaire de la salle ou au moniteur de s'assurer de l'aptitude réelle du pratiquant »
VM : Et si je refuse de suivre une formation proposée par la salle, est-ce que ça les décharge de leur responsabilité ?
Raphaël Tandetnik : La jurisprudence semble considérer que non. Dans un arrêt de 2018, la Cour de cassation a estimé que même si un grimpeur refuse une proposition de formation, il appartient toujours au gestionnaire de la salle ou au moniteur de s'assurer de l'aptitude réelle du pratiquant (Cass. 1e civ., 7 mars 2018, n°16-28310). Charge à eux de vérifier vos connaissances avant de vous laisser grimper.
VM : Parlons maintenant des accidents causés par un partenaire de grimpe. Comment évalue-t-on sa responsabilité ?
Raphaël Tandetnik : Dans ce contexte, la faute est jugée en comparaison avec ce que ferait un assureur prudent et raisonnable, en référence notamment aux consignes de sécurité préconisées par la FFME (Fédération française de Montagne et d’Escalade, ndlr). Par exemple, un tribunal a jugé qu'un pareur avait commis une faute en se plaçant dans la zone d'atterrissage d'un grimpeur de bloc, perturbant ainsi sa chute (TGI 23 Août 2018, Minute n°18/130 ; voir également Cass. civ. 2e, 18 mai 2000, n° 98-12802). Dans une autre affaire, un assureur a été tenu responsable pour avoir mal utilisé son système d'assurage Grigri, n'ayant pas tenu fermement la corde côté freinage, ni tiré vers le bas comme il aurait dû le faire (CA Aix-en-Provence, 10e ch., 22 nov. 2018, n° 17/12839).
« Les décharges que vous signez dans les salles d’escalade ont, en réalité, une portée très limitée et offrent donc une protection juridique très relative aux exploitants de salles. »
VM : Et si mon équipement est défectueux ? Le fabricant peut-il être tenu responsable ?
Raphaël Tandetnik : Absolument. La responsabilité du fabricant peut être engagée si un équipement de protection se révèle défectueux, comme un baudrier, un mousqueton ou un piton. Cette responsabilité dite des « produits défectueux » existe même sans faute prouvée : le fabricant doit réparer le dommage causé par un produit n'offrant pas la sécurité qu'on peut légitimement attendre.
Étonnamment, et c’est plutôt rassurant, on ne trouve pas encore de décisions de justice condamnant des fabricants d'équipement d'escalade sur ce fondement. Cependant, avec le développement d'équipements toujours plus légers et sophistiqués, cela pourrait changer. Les fabricants doivent être particulièrement vigilants sur les informations fournies avec leurs produits et les précautions d'utilisation, le défaut de sécurité s’appréciant tant au regard d’un vice intrinsèque (tenant au produit lui-même) que de la documentation fournie avec le produit.
« Ces dernières années, on constate une tendance à l'augmentation des litiges liés aux accidents d’escalade, ce qui correspond logiquement à la démocratisation de la pratique »
VM : Existe-t-il des situations où personne n'est responsable ?
Raphaël Tandetnik : En théorie, oui, en cas de « force majeure », c’est-à-dire un événement imprévisible, irrésistible et extérieur. Mais c'est difficile d'imaginer de tels cas en salle d'escalade. Plus fréquemment, c'est la faute de la victime elle-même qui est invoquée. Si l'accident résulte uniquement de la faute de la victime, aucune responsabilité ne peut être recherchée. Si la faute a seulement contribué au dommage, on procède à un partage des responsabilités.
Un exemple caricatural : récemment, un grimpeur qui avait choisi de ne pas utiliser le système d'auto-enrouleur et de grimper en solo - en violation flagrante du règlement de la salle -, n'a pu obtenir réparation après sa chute (Tribunal Judiciaire de Marseille, 2e chambre, 22 mars 2024, n° 21/01998).
VM : Les salles font signer des décharges de responsabilité. Sont-elles vraiment valables ?
Raphaël Tandetnik : Ces clauses ont en réalité une portée très limitée. Elles ne s'appliquent pas si leur bénéficiaire a commis une faute grave ou intentionnelle. Elles sont nulles quand elles vident le contrat de sa substance. La majorité de la doctrine juridique estime qu'elles ne sont pas valables en cas de dommage corporel. De plus, elles sont considérées comme abusives dans les contrats entre professionnels et consommateurs. En pratique, ces clauses offrent donc une protection juridique très relative aux exploitants de salles qui tenteraient d’en insérer dans leurs conditions générales.
VM : Observe-t-on une augmentation des litiges liés aux accidents d'escalade ?
Raphaël Tandetnik : La jurisprudence montre qu'il existe relativement peu de contentieux impliquant des accidents d'escalade, mais on constate une tendance à l'augmentation ces dernières années, ce qui correspond logiquement à la démocratisation de la pratique.
Finalement, le cérémonial du papier signé à la va-vite en entrant dans la salle n’est guère plus efficace qu’une parade approximative sous un grimpeur en chute libre. Puisque le droit grimpe à vue sur un mur jonché de subtilités, mieux vaut savoir où l’on met les pieds avant de décoller du tapis. Et ne pas oublier que malgré toutes les décharges du monde, la gravité, elle, ne signe jamais rien.